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Une facétie de Puck

 

( Extrait de L' Insolite Mr Pembroc)

 

 

  

 

 

          Bien qu’il sache que les Hommes sont essentiels aux Feys, ne serait - ce que par leur croyances qui font perdurer leur existence, Wolfgang Pembroc avait toujours gardé une saine distance avec eux et rares étaient les liens qu’ il avait noué avec certains d’ entre eux. La petite famille Le Tréviec faisait pourtant partie des rares humains qu’ il lui plaisait à revoir.

Ils logeaient dans une petite ferme perdue au cœur des monts d’ Arrée et, l’ idée d’ apercevoir bientôt le serpent bleuté de la fumée de leur petite chaumière, réchauffait le cœur de l’ éternel voyageur.

Grande fut sa désillusion ! Pas de panache moutonneux ! Il distinguait déjà la cheminée de pierre qui flanquait le pignon du nid douillet de ses amis mais celle-ci restait sèche de toute émanation. Pire ! Les volets, pour la plus part, restaient clos. Les trois enfants du couple jouaient dans les flaques, insouciants mais rien ne laissait entrevoir la présence rassurante des parents autour d’ eux. Swanny, leur mère, n’avait pourtant pas coutume de les laisser vaquer ainsi sans exercer sa vigilance.

Persuadé, de plus en plus, d’un drame survenu, le Marchand de couleurs s’ approcha. Les bambins dont l’ ainé frôlait à peine la sixième années, se ruèrent sur le vieil homme en applaudissant. Sa visite, toujours accompagnée de surprises bigarrées, déchainaient leur enthousiasme.

« Mais où donc sont vos parents ? »

Le puiné désigna du doigt le flanc de la maison où l’ on apercevait une petite tonnelle couverte de chèvrefeuille. Mais, alors que le Camelot allait se diriger dans cette direction, le plus jeune se planta devant lui, un doigt fièrement enfoncé dans la narine.

« Maman…elle est pa’tie et papa y fait que pleurer ! »

Les pressentiments de Pembroc se renforçaient. Un drame avait dû survenir !.

Il trouva en effet Guy Tréviec, effondré, sur un banc, à l’ ombre de la tonnelle.Il eut du mal à retrouver, dans le visage ravagé du jeune breton, le paysan joyeux qu’ il avait connu quelques années auparavant. La chemise était boutonnée de guingois, le pantalon tâché de mauvais vin et la barbe en friche. C’est à peine s’ il leva le regard pour accueillir le marchand qui s’assit en silence.

Ils restèrent ainsi un long moment en silence puis le jeune homme se moucha bruyamment dans sa manche et réalisa enfin la présence du vieil homme.

«  Elle est partie ! »

Pembroc hocha la tête.

« Les enfants m’ont dit ! Vous savez pourquoi ? »

Guy haussa les épaules, comme impuissant à saisir l’ ampleur de son drame.

Le Marchand de couleurs se renfrogna. Il ne comprenait pas. Il connaissait Swanny. Il savait le choix redoutable qu’ elle avait fait. Il avait d’ ailleurs arbitré ce choix afin de s’assurer qu’ elle mesurait l’ ampleur de celui-ci. Alors ?Comment aurait-elle pu envoyer tous ses engagements aux orties ?

Il se leva et gagna l’ entrée du petit home douillet devenu foyer de douleur. Les enfants, sales comme des gorets, avaient repris leurs jeux.

L’ intérieur des Tréviec était modeste. Malgré le désordre récent, qui confirmait l’ absence de la maitresse des lieux, il y régnait une atmosphère chaleureuse. Derrière la grande salle que chauffait d’ habitude une grande cheminée de pierre on apercevait, dans un recoin plus sombre, le grand lit clos ouvragé que Guy avait menuisé. Une échelle grimpait vers un ancien fenil transformé en chambrette de poupée pour les trois progénitures. Contre le mur Ouest, un grand évier de pierre rempli de vaisselle sale attendait. Juste à côté, une petite porte entrouverte…

Wolfgang Pembroc sentit une goutte de sueur glisser le long de son échine. Lui seule savait ce que Swanny entreposait dans ce réduit interdit à tous, et surtout à son époux. D’ habitude une grosse chaîne en fermait l’ accès, munie d’ un énorme cadenas . Le cadenas gisait sur le sol.

Le camelot s’ approcha, en proie à une sourde appréhension et ouvrit complétement le battant. Le placard, comme il le redoutait, était vide. Seul, un clou brillait au mur. Le courant d’ air fit voler une plume que le camelot ramassa. Une plume de cygne. Mais son regard accrocha aussi, dans la poussière, deux petites empreintes de pas qui le firent souciller car il en devinait l’ auteur.

 

 

 

2

 

Trouver une fée en détresse ne posait en général aucun problème au marchand de couleurs. C’était son lot. Mais trouver une fée qui ne veut pas l’être s’ avère souvent plus compliqué. Et Pembroc n’avait nulle envie de parcourir tous les sentiers des monts d’ Arrée en vain Aussi se choisit- il un abris au tournant d’ un chemin sur la Lande pour y attendre celui qui la parcourait inlassablement, nuits après nuits.

Le ciel chargé d’ orage se déchirait de temps à autres en de courtes embrasées de lumières. Le mauvais temps était affaire courante dans cette région de Bretagne. Mais le vieux se fondait dans le granit des pierres du muret où il s’ était assis et les gouttes de pluie ruisselaient sur lui sans qu’ il en montra la moindre gêne.

Il avait allumé sa longue pipe de faïence et tirait dessus en écoutant chaque bruit que le vent soufflait jusqu’ à lui.

Un grincement de charrette lui fit dresser l’ oreille.

Et sur le chemin, un sombre cortège émergea de l’ obscurité. Une maigre haridelle à la robe noire tirait un char bringuebalant A ses côtés un personnage d’ombre, les traits couverts par un large chapeau marchait, glissait plutôt, sur les pierres du chemin.

Pembroc toussota pour signaler sa présence et la procession, interdite, s’ arrêta. Le sombre charron se tourna vers le vieillard. Il portait un vieux costume traditionnel de velours noir. Un éclair fugace révéla quelques secondes une de ses longues mains décharnées serrée autour d’ une faux ébréchée à l’ usage.

Bien que la rencontre avec ce funeste fossoyeur ne soit à redouter que pour le commun des mortels, le marchand ne put retenir un tressaillement désagréable. Le petit peuple ne craignait pas l’ Anku, son pouvoir se situait entre lui et l’ Ombre, mais, prudemment, il préférait l’ éviter.

Le spectre s’approcha du vagabond qui scruta cette face de ténèbres en vain. Un nouvel éclair laissa juste deviner au sein de cette noirceur un grouillement visqueux, répugnant.

L’ Apparition parla enfin et sa voix avait le tranchant vif de la lame sectionnant les chairs.

«  Qui es- tu pauvre fou qui m’appelle alors que tous me fuient ? »

Wolfgang Pembroc ne répondit pas. Il tira sur sa pipe et relâcha trois ronds de fumée, bleu, vert, rouge.

Le moissonneur des morts hocha la tête.

« Ton domaine ne me concerne pas » poursuivit-il « Passe ton chemin et laisse- moi à ma tâche ! »

Mais l’ admonestation n’ébranla aucunement l’ éternel vagabond. Il extirpa, d’ une de ses nombreuses poches, une plume qu’il agita sous le nez du macabre glaneur.

«  Je cherche une fée ! Et comme tu parcours, à toi seul, plus de foyers, plus de chemins en une nuit que je ne saurais le faire, dis-moi si tu l’as rencontrée !

  • Ta fée ne peut craindre la Mort. Pourquoi l’ aurais-je rencontrée…

  • Disons plutôt croisée ! »

Le funeste personnage émit un petit rire qui fit au vagabond l’ effet d’une giclée de lames de rasoir.

«  Je ne suis pas seul à hanter ces sentiers de misère. Il en est d’ autres qui arpentent la nuit en hurlant leur misère. Tu devras les chercher, marchand ! »

Et l’ Anku retourna à son charroi . Le Camelot, songeur, le regarda s’effacer dans l’ obscurité, le grincement sinistre de son équipage s’ estompant progressivement .

Qu’ avait- il voulu dire ? Parlait-il de quelqu’un en particulier ? Quels autres locataires de la nuit devait- il chercher ? Wolfgang Pembroc en était là de ses réflexions lorsque qu’une trombe d’ air venue de nulle part déferla sur lui, manquant de le jeter au bas de son mur. Il se rattrapa de justesse et saisit, au cœur de la tourmente, un paquet informe de vêtements, plumes et cris qui venait de le percuter.

L’ensemble constituait en fait un curieux personnage de très petite taille dont le visage poupin eut pu faire penser à un enfant. Seule une touffe de poils sur le menton indiquait un âge plus avancé. Pembroc déposa son mystérieux agresseur sur le faîte du muret. Ce dernier, l’ air outré, se rajusta, brossant son splendide gilet doré couvert de poussière.

«  Mais que fuyez- vous donc, Maître Puck qui vous pousse ainsi à ne plus voir les obstacles sur votre chemin ? »

 

 

                    Elle avance. Elle avance sans sentir les larmes de sang que les pierres du chemin arrachent à ses pauvres pieds nus. Elle avance, inexorablement contrainte par cette fatalité que le sort lui a assignée…

Les eaux du ciel s’ abattent sur Elle, ultime punition ! Et à travers ses longs cheveux blonds collés sur son front et qui lui font barrière, elle distingue sur la petite crête, émergeant des brumes de la lande, les lumières rouges de la vieille masure en pierre où l’attend son nouveau maître.

Son nouveau maître qu’ elle n’a pas choisi, qu’ elle doit servir…

 

 

 

 

 

 

 

  3

 

Une pointe d’ ironie plissait le sourire de Wolfgang Pembroc qui observait le curieux personnage qu’il venait de pêcher. Il ne devait pas atteindre le mètre mais son ego devait compenser.

«  Où les pas d’un farfadet comme vous mènent ils donc, Maître Puck ? »

Le gnome eut un sursaut. Il rajusta son drôle de petit chapeau melon pour se redonner une contenance mais la rougeur de ses pommettes ne cachaient rien de la vexation que ce vocable de « Farfadet » lui avait infligée.

« Farfadet ! peuh ! Merci bien pour moi de servir ces humains pour un bol de lait et un quignon de pain !

  • C’est vrai que vous préférez les voler ! » continua malicieusement le marchand de couleurs.

Puck, définitivement outré, s’apprêtait à sauter du muret. Mais la poigne de fer du vieil homme le retint fermement par le col.

Le lutin soupira à arracher des larmes à une pierre et se résigna à rester assis.

«  Je ne suis pas un voleur !

  • Et comment appelez -vous ce que vous pratiquez si souvent, Maître Puck ? »

 Le petit larron chassa d’ une pichenette une poussière qui trainait sur sa manche afin de se donner une contenance désinvolte qu’ il était loin d’ avoir.

«  La faute en est à la modestie des gens !

  • La modestie des gens ?

  • Bien sûr ! Les gens sont trop modestes. Ils en souffrent. Faire un beau geste, offrir un cadeau, blesse cette modestie quand ils se voient accablés de remerciements, certes mérités, mais qui les mettent mal à l’ aise. Donc je préfère les devancer, par délicatesse. Je me sers et ainsi leur confusion ne peut éclore. »

Le Camelot sourit en entendant cette étonnante philosophie.

«  C’est de cette façon que vous vous êtes servi dans le placard, fermé à double tour, des Tréviec ! »

     Puck roula de grands yeux effarés

« Les Tréviec ?

  • Qu’ aviez- vous à faire, Maître Puck, d’ un manteau de plumes ?

  • Quel manteau de plumes ? »

La poigne du marchand se resserra. Le col de la redingote du lutin commençait à l’ étrangler. Il risqua un coup d’ œil plaintif vers son tortionnaire mais le sourire narquois de ce dernier augmenta ses angoisses.

   « Je me souviens ! »

 L’ étreinte se relâcha, un peu.

 « Un très beau manteau d’ ailleurs ! Mais je n’ en avais pas l’ usage en fait !

  • Et qu’avez-vous fait de ce manteau ? »

Le lutin leva les bras au ciel.

«  Comment voulez- vous que je m’en souvienne ! Je parcours tant de lieues !  J’ ai dû l’ égarer  dans une maison de passage! »

     Wolfgang Pembroc connaissait la versatilité du Puck . Aussi ne douta-t-il pas qu’ il fut sincère. Hélas !

   Plongé dans ses réflexions, il en oublia de maintenir sa prise sur le collet du maraudeur. Ce dernier, comprenant qu’une telle aubaine ne se représenterait pas de sitôt, sauta au pied du mur et déguerpit dans la nuit.

   Pembroc le suivit un moment du regard, puis se dit que, de toute façon, il n’ en aurait pas tiré beaucoup plus.

 S’ apprêtant à reprendre la route, sa main tâtonna le long du mur à la recherche de son immense parapluie…en vain !

«  Le gredin ! Il m’ a volé mon pépin ! »

 

 

 

4

 

        Le jour commençait à poindre.  Le Marchand de couleurs apercevait déjà les fumées de Plouernou-Ménez  lorsqu’ un attroupement attira son attention aux milieu des champs d’ orge. Il s’ approcha. L’agitation se faisait autour d’une sculpture de pierre posée là, incongrue…

   La foule murmurait mais il devinait une sourde horreur dans les propos échangés. Elle désignait le golem immobile.

«  C’est le Jacques…il n’est pas rentré à temps…c’est le troisième en huit jours !... »

    Pembroc parvint enfin au pied du monolithe. Saisissant de réalité, le berger de pierre avait été arrêté dans sa fuite dans un dernier geste d’horreur. Des abysses de peur défiguraient un visage, encore jeune, figé dans le granit.

   Le camelot s’interrogea sur l’étrange artiste qui avait pu façonner cette apologie de l’ épouvante aux milieu des champs. De sa longue main, maculée de poudre bleue, il caressa la pierre . En vain ! La poussière ne changea pas de couleur. Aucune magie n’ était à la source de cette pétrification. Mais au bout de ses doigts une faible pulsation ! La statue du berger de granit vivait encore, condamnée à une éternelle immobilité !

   Wolfgang Pembroc savait qu’il n’ y avait rien à faire, aussi reprit-il sa route.

   

5

 

      L’ auberge, au matin, était encore calme. L’ hôtesse s’affairait encore autour de ses fourneaux et une odeur de café chaud caressait agréablement les narines du camelot qui s’était calé dans un coin de salle. Les rayons du soleil se frayaient un chemin à travers les géraniums des bords de fenêtre et projetaient leur ombre sur le sol de terre battue.

  Sur la grande table une imposante miche de pain s’associait à une large cruche de beurre pour faire oublier l’ absence de clientèle. Au loin un coq s’ évertuait à rappeler les travailleurs de la terre vers leurs labours. Wolfgang Pembroc songeait. Où en était-il de ses recherches ?   Quelque part la fée cygne devait courir au-devant de son manteau. Sa malédiction la condamnait impitoyablement à chercher son nouveau maître qui en était devenu propriétaire afin de se soumettre à lui, à lui obéir…Mais qui était ce nouveau maitre ? Où cet imbécile de Puck avait- il pu égarer la parure magique ?

   Avec un brin de nostalgie, le vieil homme se revoyait quelques autres temps plutôt. Swanny, alors , batifolait avec ses sœurs dans les étangs. Sans crainte, elles avaient déposé leurs tenues de plumes sur la berge et s’ adonnaient spontanément à leurs jeux aquatiques. C’est ainsi que Guy les découvrit. Son regard, émerveillé, avait été capturé par la plus belle d’ entre elles, Swanny !

    Il savait ce qu’elles étaient. Il savait que pour les enchainer, il lui aurait suffi de capturer son manteau de plumes. Elle deviendrait sa  servante à tout jamais, soumise et obéissante. Mais cela ne l’intéressait pas. Il l’aima tout de suite. Cet amour subite mais profond fut réciproque.

    Alors, dans le monde des Feys, on vit chose rare. La fée cygne s’insurgea contre le sort et renia sa nature pour vivre avec l’ humain. Seule condition pour que ce choix soit respecté, que le manteau de la fée ne la quitte pas. Elle le conserva donc enfermé dans ce mystérieux placard, caché des siens.

   Ah, maudit Puck ! Que ton inconsistance venait- elle de briser !

Le vieux camelot soupira. Pour une fois il sentait le poids de ses siècles.

 

6

  Un groupe entra dans la taverne, arrachant le voyageur à ses songes. Avec force bruits de galoches et raclements de chaises, ils s’installèrent et commencèrent à deviser à voix basse, comme embourbés encore dans une récente émotion. Pembroc reconnut un certain nombre des paysans qui entouraient quelques heures plus tôt l’ étrange « pétrifié ».

  « A mon avis, il s’ est laissé surprendre…Tu sais bien qu’ Il prévient toujours …Ca fait des nuits qu’on ne l’a plus entendu… »

  De qui parlaient-ils ?

   L’  aubergiste posa, devant le vagabond, un grand bol émaillé rempli de café fumant. Il lui agrippa le poignet alors qu’elle allait regagner sa cuisine.

 «  De qui parlent- ils ? »

   Les yeux gris de la vieille femme le détaillèrent.

«  Mais du berger de la nuit ! du Bugul-noz ! »

 

Entracte :

    Trois coups violents portés à sa porte !

 Jamais ! Jamais cela ne s’ était produit ! Jamais cela ne pourrait se produire ! D’ une voix rauque, dont il a lui-même oublié le son, il bredouille .

«  Quel est l’insensé qui cogne à mon huis ? »

Qui a pu trouver son antre ? Cette bauge où il celle son effroyable laideur ! Quel inconscient s’ est risqué à briser sa solitude ?

  Derrière le lourd vantail, une voix répond, une voix de femme !

   « Ouvre puisque tu es mon Maître, maintenant ! Ouvre à ta servante ! »

  Et le monstre frémit.

Ce n’ est pas possible ! Nul ne peut partager son sort ! Nul ne peut affronter sa désespérante hideur sans risquer d’ être changé en pierre !

  Non ! C’est impossible ! Il ne le veut pas !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

7

 

 

   Bugul-Noz ! Wolfgang Pembroc en a beaucoup entendu parler. Une créature damnée que l’ aspect condamne à

 

une errance solitaire sur la lande. Cousin des lutins, il n’a cependant aucune famille. Il est même exclu du monde

 

des Feys comme de celui des Ombres. Sa hideur le condamne à l’ errance entre les mondes. Berger de la nuit, il

 

prévient de son passage aux long des pâtures par des cris déchirants, annonçant ainsi aux autres pastoureaux

 

humains le temps de regagner étables et bergeries pour  éviter de faire sa funeste rencontre. Sa seule vue pouvait

 

vous transformer en pierre.

     Mais justement ! Comment est-il possible que les malheureux l’ aient croisé ? Pourquoi n’avaient-ils pas suivi le réflexe que leur dictait leur superstition ?

      Ou bien !

Le Bugul-noz n’avait pas lancé son sinistre avertissement !

     Pembroc jeta quelques pièces sur la table et quitta l’ auberge. Debout sur le perron, à la chaleur du soleil naissant, il s’étira. Après quelques hésitations, il se dirigea vers le Nord -Est, vers St Thégonnec. Alors qu’ il atteignait les limites du bourg, son attention fut attirée par une gerbe de jurons qui fleurissaient d’ une petite cour de ferme. Curieux il s’ approcha pour voir la source de cette colère, à priori homérique. De fait un paysan, un gourdin à la main, pestait devant une porte de grange.

«  Un problème ? » s’ enquit-il prudemment.

    Le croquant s’ arrêta, la mâchoire en mode décrochée. L’ homme évalua le marchand de couleurs d’ un rapide aller et retour de la tête aux pieds, puis reposa son gourdin.

«  C’est ce foutu gredin de Puck ! Il m’ a barboté le licol de mon âne ! Avec quoi voulez- vous que je l’ attelle maintenant ? »

   Ne cherchant pas à le froisser plus, Pembroc hocha la tête en y mettant toute la plus grande commisération.

«  Et où est-il maintenant ?

  • Dans la grange. Je l’ ai bouclé ! Il ne m’échappera pas. »

   Le camelot ne fit aucun commentaire et reprit sa route. Du moins, fit-il comme s’il laissait le brave homme à ses déboires. En fait  il contourna le long bâtiment, bien persuadé que le malheureux propriétaire du licol n’avait aucune chance de coincer l’ horripilant chapardeur. Abrité de la vue de ce dernier, il posa sa besace et sortit sa boîte. En quelques minutes il concocta un mélange de poudres colorées dans lequel il trempa un long bout de corde. Le chanvre prit une belle teinte bleutée. Avec l’une des extrémités, il confectionna un nœud coulissant , puis suspendit son dispositif au- dessus d’une brèche. Il sortit ensuite une vieille bouteille où stagnait un restant de lait et versa le contenu dans une auge qu’ il posa sous le piège et compléta son œuvre par un morceau de pain qui traînait au fond d’ une de ses poches. Il se dissimula au coin du bâtiment. Il ne fallut pas longtemps avant que le drôle de chapeau rond du lutin émerge, suivi de son nez pointu, attiré par cette pantagruélique offrande. Puck, prudemment se glissa hors de la grange et s’approcha de l’ écuelle. Pembroc claqua alors des doigts et la corde s’enroula autour du poignet du gnome qui, surpris, poussa un cri bref.

     Le marchand de couleurs fit alors son apparition. Maître Puck, effaré, reconnut, dans la main du camelot, l’autre extrémité de son entrave. Il était fait !

    Pembroc noua le lien à un anneau qui pendait au mur de la grange et s’approcha de son « gibier » en se frottant les mains.

    « Vous ne m’avez pas tout dit , Maître Puck ! Et, au fait, où est donc mon parapluie ? »

 

 

8

 

      Le lutin jetait des coups d’ œil alarmés vers l’ autre coin de la grange d’où pouvait surgir à tout moment le  paysan.

«  Je ne sais pas où il est votre pébroque, moi ! »

    Un petit bruit de bouche désapprobateur du Marchand de couleurs lui arracha quelques gouttes de sueur. Le sourire du camelot, d’ ailleurs, n’ était pas très encourageant non plus ! Mais ce dernier ne souhaitait visiblement pas insister plus sur ce sujet.

«  Ne l’ auriez- vous pas égaré lui aussi ? Chez le Bugul-Noz par exemple. »

    Puck se renfrogna. Mais le pli sombre qui barra le front de son geôlier le ramena vite à la raison. Si tant est qu’on puisse parler de raison lorsqu’ on a à faire avec un Puck !

«  Le Bugul-Noz ! Ça va pas vous ! Je ne tiens pas à croiser ce père fouettard là moi !

  • Lui non ! Mais ses placards…on les dit bien remplis de toutes sortes de trésors… »

Le lutin haussa les épaules.

«  Vous savez…on exagère beaucoup ! »

Wolfgang Pembroc failli éclater de rire.

« Vous voyez ,Maître Puck ! Vous avez fait visite au Bugul-Noz. Vous connaissez ses réserves ! »

    Piégé, le lutin haussa les épaules.

«  Je n’ ai rien pris chez lui ! Il a failli me surprendre et j’ ai du m’enfuir à toutes jambes ! La plus belle frayeur de ma vie !

  • Au point que vous y avez oublié une partie de votre butin ? »

Confus, le nabot qui avait sa petite fierté, baissa les yeux.

«  Oui ! »

    Une explication à tous les phénomènes qui perturbaient ce coin des monts d’ Arrée, commençait à s’ esquisser dans la tête du Camelot.

 Il rangea son matériel dans sa besace. Puck, devant ces préparatifs qui sentaient le départ, sentit l’angoisse le gagner.

«  Vous n’allez pas me laisser là ? »

 Wolfgang Pembroc eut un petit sourire narquois.

«  Que craignez- vous, après tout ?   Une bonne volée de bois vert ?  Voilà une chose que vous n’ auriez pas volée  pour une fois ! »

 

 

Entracte :

    Elle a dû se résoudre à s’ abriter dans la vieille grange délabrée et lui…lui, il ne comprend pas ! Comment peut- on vouloir le rencontrer ? Elle prétend même être son esclave !

   Par le judas il l’ a regardée. Elle est belle ! Aussi belle que lui est monstrueux !

  Il ne comprend pas pourquoi elle s’ acharne.

  Se pourrait- il qu’ elle voit plus loin que son immonde difformité ? que ses yeux placés aléatoirement dans sa face ? que sa gueule déformée sur ses crocs chaotiques dont les seuls reliefs ne sont qu’ ébréchures suintantes ?

  Se pourrait- il qu’ elle soit réellement pour lui ?

  Non !

  Impossible !

Il la chasse.

     Depuis une heure, elle n’ est plus devant sa porte. Alors il sort. La folie le prend. Des délires d’impossibilités le submergent.  Il s’enfuit alors sur la lande, s’arrachant les quelques poils clairsemés de son crâne. Il court à s’en abrutir…à oublier de prévenir de son redoutable passage !

 

 

 

 

 

 

 

    

 

9

 

 

 

Les vagues informations arrachées à Puck ne donnaient à Wolfgang Pembroc qu’ une idée très floue de l’ endroit

 

où il trouverait la demeure du Bugul-Noz. Mais c’ était mieux que rien. En lui-même, il s’ interrogeait sur l’ effet

 

que pourrait faire sur lui la laideur de cet être. Préservé contre la magie, il n’avait en principe rien à craindre. Mais

 

les  créatures qui bordaient les limites avaient parfois d’ étranges capacités.

 

Il avançait donc péniblement sur cette lande, parsemée de maigres carrés de cultures, où la terre noire alourdissait un peu plus chacun de ses pas. Le soleil, dans un dernier cri d’ agonie, libérait ses ultimes souffles dorés et l’ étendue sauvage s’ endeuillait progressivement.

  Pembroc profita d’ une petite clairière entre les ajoncs pour s’ arrêter et faire l’ inventaire de ses ressources. Il trouva au fond de sa besace un onguent vert pomme qui pourrait convenir. Il y trempa les doigts et se l’ appliqua sur les yeux.

    La brume louvoyait entre les arbustes des fourrés, venant compliquer ses recherches.  Le vagabond avait repris sa marche. Il flottait dans les immenses nappes qui gommaient tout relief, toute réalité. Dans sa tête, une profonde plénitude cotonneuse commençait à s’ installer. Il se sentait vide et plein à la fois . Un calme humide l’ imprégnait et, fixé sur sa respiration, il perdait la notion de l’ effort, avançant mécaniquement, sans repère, sans but.

    Soudain le manteau grisâtre se délita. Des lueurs titillaient l’ opacité du rideau par endroits. Une masse sombre émergeait. Une masure se dessina. Des contours, d’ abord confus.

    La maison du Bugul-Noz !

Pembroc se coucha contre un muret et observa cette apparition merveilleuse. La grande bâtisse agitait ses oripeaux de granit dans une noirceur que perçait, à travers quelques fenêtres, la lueur de bougies vacillantes. Un peu plus à l’ écart, de l’autre côté d’ une cour boueuse, une grange jetait une ombre sinistre sur ce décor de cauchemar.

   La porte de la demeure s’ouvrit brutalement, lâchant sur la lande une silhouette sans forme qui tressautait tragiquement.

   Le Bugul-Noz !

   Par prudence, le camelot se tassa un peu plus derrière son muret.

Mais l’ Horreur ne vint pas vers lui. Elle s’élançait déjà vers les brumes dans un contraste d’ agitation et de silence…

  Enfin, le Marchand de couleurs se redressa. La créature s’en était allée. Il descendit vers la ferme.

    La porte demeurait ouverte. Il s’apprêtait à entrer lorsqu’ un gémissement attira son attention vers la grange.

«  Est- ce vous, mon Maître ? « 

   Le vagabond gagna le hangar. Il fit glisser la lourde porte. Ses yeux fardés de vert-pomme mirent un certain temps à s’ accoutumer. Puis, sur la paille, tâchée du sang de ses pieds déchirés, il reconnut Swanny !

 

10

   La jeune fille haletait. Epuisée, elle n’avait même plus la force de résister à Wolfgang Pembroc qui l’entourait de son large coupe-vent.

 Il se redressa et, d’une voix étonnamment douce l’ encouragea à l’imiter. Mais elle n’entendait plus et d’ une voix monocorde répétait :

«  Mon manteau … Mon manteau est ici…Je dois servir ici ! »

  Le marchand de couleurs soupira. Il connaissait bien cette loi qui contraint les fées cygnes.

 « Il est dans la maison ? »

    Elle répondit par un sourire triste.

   Le vagabond quitta alors la grange et se dirigea vers la masure du Bugul-Noz. Pourvu que ce dernier ne revienne pas !

     L’ antre  s’avérait moins sordide qu’ il ne l’avait craint. L’intérieur, rustre, n’était pas exempt d’un certain ordre. On y respirait juste le drame d’une vie de solitude. Pembroc déposa sa besace à l’entrée. Quelques hardes trainaient sur un grabat. Dans la souille une écuelle ébréchée attendait d’être lavée. Aucune trace de sévices imposés, d’ossements fraîchement sucés. Le Bugul-Noz n’ était pas un Ogre ! Juste une misérable créature que son aspect contraignait à fuir les autres.

   Une grande armoire recelait quelques hardes rapiécées, mais pas de manteau de cygne !

   Où donc ce gredin de Puck avait- il caché  son butin ?

    Le vagabond inspecta l’ espace où le monstre devait préparer ses repas. Dans un recoin, derrière la souille, une porte ! Il en tourna la poignée et dut faire un effort pour dégager le battant gonflé par l’humidité. Dieu qu’ il faisait sombre là- dedans ! Une petite lucarne laissait juste l’accès à un rayon de lune. Et sur le mur…

Le manteau de plumes !

 

Entracte : 

     Il court et le temps n’ a plus de sens pour lui. La pluie qui lui flagelle le visage ne le rafraichit même pas. Elle est si belle ! Il est si seul !

   Et soudain il s’arrête.

   Et si finalement, c’était possible ? Si les Dieux s’ étaient enfin rappelé de lui ?

  Oui ! Ce devait être cela !

 Il aurait droit au bonheur comme les autres !

     Plus loin, sur le chemin le Léon s’avance. Il pousse son troupeau sans se presser.     

Après tout le Bugul-Noz n’a pas encore gémi son lugubre avertissement !

Et soudain !

   Il est là ! devant lui ! Un cri d’ horreur se fige dans sa gorge.  Son aspect est pire encore que ce que l’ on raconte le soir au coin du feu, lors des veillées !

  Les yeux du berger n’en peuvent plus de s’ exorbiter. Il sent sa poitrine se figer, ses membres durcir lentement dans un geste de recul ! Il est pétrifié !

   Le Bugul-Noz n’ accorde même pas un regard à sa dernière victime. Il est tout à sa décision. Il doit revenir chez lui ! Chez Elle ! Chez eux !

 

 

 

 

 

  

10

 

   Wolfgang Pembroc décrocha prudemment la vêture magique. Une plume voleta vers le sol qu’ il ramassa délicatement. La fée avait besoin du manteau. Le manteau avait besoin de la fée.

   Mais la porte, derrière lui, claqua violemment. Le Bugul-Noz était de retour.

  Le camelot, agenouillé, hésita à se retourner. Déjà le baume sur ses yeux s’ effaçait. Résisterait-il à la fatale vision ?

«  Qui es-tu ? Que fais- tu là ? »

    Pour une fois Pembroc condescendit à répondre. Il avait besoin de temps.

«  Je viens chercher ce qui doit être rendu ! »

    Tout en continuant à tourner le dos au monstre, il brandit le manteau.

«  Qu’ est que c’ est ? »

    Le Bugul-Noz ignorait donc la vraie nature de Swanny. Il n’ avait jamais su que ce manteau se trouvait là. Sacré Puck ! Dans quel capharnaüm avait-il entrainé tous les acteurs de ce drame !

«  Lance moi ma besace et je t’expliquerai. »

   Le monstre désappointé, obéit machinalement. Le Marchand tapota le précieux bagage avec soulagement, et commença à fouiller dedans.

   Le Bugul-Noz commençait à s’ impatienter. Il piétinait.

«  Me diras-tu enfin ? »

    Pembroc réfléchissait. Il avait trouvé au fond de son sac ce qu’il lui fallait. Mais il hésitait. De quel droit pouvait-il condamner ce pauvre bougre dont le seul crime n’était que son aspect ?

  Il commença donc à raconter la triste facétie du lutin.

  Au fil de son récit, il entendit la masse de la créature s’affaisser sur un chaise. Un drôle de gargouillement naquit alors. Le Bugul-Noz pleurait. Il venait de comprendre que son rêve s’effondrait. Seule une contrainte magique avait conduit la belle jolie jeune fille vers lui. Un étau enserra son cœur. Une morsure noire de haine et de solitude.

    Soudain il bondit sur ses pieds en hurlant

 « Et bien tant pis ! Elle sera ma servante quand même ! Et toi tu vas mourir ! »

    Le marchand roula de côté pour éviter la poigne de la monstruosité et, dans le même mouvement, tendit vers sa face un miroir .

   Le hurlement effroyable dut être entendu jusqu’ à Brest.

La créature se figea. Lentement son cuir prit une teinte grisée. Il se solidifiait dans une attitude de rage désespérée qui plongea dans la conscience de Pembroc aussi profondément qu’ un poignard en plein cœur.

 

 

 

11

 

     Swanny avait retrouvé les siens. Le vieux marchand de couleurs contemplait par la fenêtre le couple embrassé autour duquel dansait la ribambelle de gamins.

   Puis son regard revint vers le placard où la fée qui avait choisi de vivre une vie d’ humain , avait de nouveau enfermé le Manteau de longues plumes blanches. Elle avait doublé la chaîne. Mais le vieil homme savait qu’il en fallait plus pour arrêter un Puck.

    Il puisa une poignée de poudre grise dans sa poche et commença à dessiner sur la porte. Lentement l’image d’ une pauvre créature difforme prit corps sur le bois.

Swanny s’ était glissée derrière lui et observait le sceau magique qu’il traçait ainsi. Ses yeux se couvrirent d’ un voile triste.

«  Après tout, ce n’était pas de sa faute ! Il n’était peut- être pas si méchant ! »

   Le Camelot termina son dessin qui disparut dans le bois, scellant désormais l’accès à tout autre que la femme cygne puis se retourna.

«  Non ! Il était juste condamné à la solitude ! »

                                                                  St Léger, Mai 2021

Puck.

Farfadet, sorte de lutin malin, espiègle et un tantinet rebelle, il joue des tours aux voyageurs, se transforme, effraie les jeunes filles et bouscule les vieilles dames…/…

Quand s'envolent les oies sauvages... (FILEminimizer).JPG
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