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Extrait de "Moments" :

​

   La  Canne

                  Elle était là !

 

                      Son pommeau d'argent, patiné par l'âge vous regardait.

 

 Nonchalament adossée aux murs voûtés de la mansarde, elle vous

 

 

nargait.

         Ogern s'assit.

  Les quelques rayons qui s'immisçaient par la lucarne lui sussuraient des clins d'oeil lumineux au pommeau.

   Comme une vieille cantatrice capricieuse, elle laissait, à ces quelques moments, hors d'ombre, transparaitre sa coquetterie de courtisane par d'ambres reflets le long de ses flancs noirs et longilignes.

      Ogern , assis sur le lit de sa tante, l'admirait.

      Comme toutes les grandes dames, elle avait vécu de sombres aventures envoûtantes. Bléssée, elle avait été réparée en son milieu. Un point métallique en assurait  de nouveau la rigidité.

    Mais de quel combat venait cette blessure?

    Quelle lame secréte avait elle recélé?

     Son histoire ne pouvait se réduire à un souvenir caché entre deux bonnetières et une table à parfums.

     Mais son corps noir, écaillé se raillait.

                                          Je suis la canne !

      Ogern pâlissait lorsqu'il osait la prendre  dans ses mains. Dans ce fourreau froid filtrait un frémissement velouté qui engourdissait ses doigts.

                                         Je pourrais être ta Canne !

     Préférant rester sourd à cette avance, il manipulait inutilement la pièce de raccord. Non la canne ne cachait aucune lame, aucun dard empoisonné... Elle n'était que souvenir.

 

      Deux malles poussiéreuses bordaient le fond de la mansarde. Les enfants se tassaient dans les recoins sombres. Leurs oncles armés de sabres de téhatre s'affrontaient dans des duels magiques rappelant les temps où l'Honneur ne se résumait pas à un mot destiné aux rêves.

        D'une dextre pointe l' Oncle Allan touchait l'Oncle Gérard au coeur et les sabres se couchaient. La Canne souriait de tout son dentier d'argent, dans l'ombre de ce grenier. Elle ricanait.

 D'autant qu'elle avait connu, elle, de vrais duels... et d'autres.... bien plus sévéres.

  De mauvais racontars disaient qu'elle y participa grâce à sa lame triangulaire...qu'Ogern n'a jamais trouvée!

   Ce soir, cette vieille dame au crâne d'argent, regarde, délaissée, les deux sabres courbes s'embrasser sous les poutres et, ses reflets épisodiques, sous la lune, cachent avec peine sa mélancolie.

   Ogern, assis à son chevet, la caresse. Elle s'endort et l'enfant croit sentir fuir entre ses doigts le gémissement de la complainte métallique qui, d'une voix déjà absente, murmure.

" d'accord! aime moi sinon je n'en réponds plus!"

Les deux oncles s'arrêtent essouflés et Ogern s'assoupit, la canne dans les mains

 

 

 

          Elle attendait. Mais qu'attendait elle ?



Calée entre une armoire et la voûte d'une mansarde, d'autre mansarde - car elle a voyagé avec ses maîtres.La courtisane ne se faisait pas remarquer. Par un coin de hublot , elle apercevait la mer.

        Chaque fois qu'Ogern la retrouvait, il l'empoignait, la caressait, fermement convaincu qu'il devenaient le passé l'un  de l'autre. Une volupté partagée les embrasait. Elle avait appartenu à l'arrière grand père ?

Certes, la lame finalement avait disparu.

                     Mais on ne fait pas taire les cannes.   

    Un soir que la marée trop violente avait secoué le calme religieuxdu grenier où la canne l' attendait.....

     Elle luisait  dans la pénombre de tous ses dessous noirs coiffés de dentelle argenté, il l'avait conviée dans ses errances. Ils avaient marché un moment, une période de nostalgie... comme deux vieux amants dans le désert.  Dans son désert, car il l'avait enlevée dans ses rêves et ses déambulations à travers la lande et le bruit des vagues. Ils avaient leurs repéres et la canne guidait Ogern, peut être ravie d'être libérée de ses greniers.

       Mais la course folle revint au grenier et s'y continua hors du temps dans un dialogue  qui estompait les contours de ce décor pour un autre où ils s'étaient jadis connus.

  Ogern parlait seul. Il se racontait ses erreurs, ses haines, ses doutes... et finalement la laissait le réconforter en durcissant sa prise et raffermissant son bras. Au bout du compte, ils durent se quitter. Elle regagna son mur pour s'y appuyer.

  Et Ogern lui souhaita la nuit avant de la rendre à celle continuelle de ses mansardes. La maison un instant perdait sa raison de vivre.

  Ogern revint pour faire ce dernier bout de route vers le cimetiére avec celui qui fut son modéle: son grand père. Il savait aussi en lui même qu'il venait dire adieu à la Canne.  Mais elle n'était plus là. Elle avait déjà abandonné son grenier. De ce jour de larmes il ne la vit plus, ni d'ailleurs y pensa.

    A la fin du jour,s'écartant des pleurnicheurs, Ogern se sentit plus libre pour revisiter ces vieux murs, en caresser les crépis une dernière fois...

     Errant d'un grenier à une cave, c'est alors qu'il la vit...

 

 

           Elle était là !

 Sa peinture cloquait encore un peu. Elle penchait, douloureusement adossée à un vieux sac de cuir qui lui évitait la corruption des flaques d'eau laissées par le dernier orage. Quelqun lui avait prévu une nouvelle  destinée...

Ogern retint à peine une larme. Illusion peut être  ?  la crosse d'argent émit un court scintillement argenté.

                          " Salut toi !"

Une  perle humide se figea dans sa moustache. La vieille courtisane émit encore un scintillement et se ternit définitivement. Ce n'était plus qu'une vieille canne qui partait en voyage loin de son grenier.

      " Adieu

        - Au revoir "

 Et la canne partit......

Pour où ?

Toutes les histoires d'amour sont faites d'hypothèses....

                                                                                                                  Agon - Coutainville - Avril 2001
                

 

 

 

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