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Extrait de "Moments":

En Remontant la rue……

 

 

 

 

                   De nos jours il est  pénible de gérer la bêtise de nos aînés qui passent leur temps à expliquer que les efforts qu’ils font ont pour but de nous faire vivre plus vite , dans un meilleur confort et, pour finir dans un risque moins prononcé de pollution de nos générations futures.

     Chacun, enfin,  s’en fout …. Les économies sont dans les mains de politiques qui ne seront pas les premiers à les toucher puisque , pots de vin non reconnus, médias déjà achetés, ils préservent, tous, notre bien être.      …..

       Amen   !

 

          Mais  ce récit n’avait que l’ambition de vous parler de Bénédicte ….

                            Et de quelques copains……

​

     Un lundi de fin Septembre .

          Chacun se pressait devant la grille , non pas pour savoir avec qui il allait devoir subir cette nouvelle année de contrainte , voire de torture . L’habitude en était là que chacun ne s’intéressait pas plus à la procédure de rentrée que  « la décence» ne le  conseillait . On lorgnait  plutôt la boîte aux lettres de la caisse qui voisinait l’école et dont le fils du directeur était un des nôtres ainsi que la boîte à «  délations »  du molosse ( le concierge)   … Bref ces futilités tellement essentielles pour supporter l’idée que malgré tout c’était reparti  .

      Puis , elle parût.  D’abord en cognant du coude contre le Beau Ruffel .

   « Excusez moi ! c’est bien là l’entrée pour

  les 7 émes ? « 

 

 Didier ne fut pas traumatisé . Il en avait vu d’autres . Ces parents l’emmenaient en vacances à  Deauville……

     Mais la troupe , elle , s’arrêta plus vite.

     L’école n’accueillait pas de filles. Il y avait , bien sûr , la fille du maître , Sylvie.

                               Mais c’était la fille du Maître !

 

      Alors  Benedicte ?

                              Elle était belle

                 Plus que Sylvie……

    En fait , elle était belle ……et pas Sylvie.

 

 

        Trop jeunes nous ne connaissions pas la Claudine de Colette autrement qu’à travers de fastidieuses dictées mais nous aurions pu la reconnaître en regardant Benedicte et ses deux lacs d’azur railleurs cadrés par une coupe à la Jeanne d’Arc, sa bouche incurvée vers un sourire qui n’avait pas fini de promettre.

      D’entrée , nous savions qu’elle était intelligente … chose rare chez un être humain du sexe féminin comme nous le savions dans ces temps.

     Olivier répondit….

     Il en avait le droit …. Il l’avait entendue le premier…Il finirait par apprendre qu’elle était sa voisine ,

       En remontant la rue……….

​

​

               La sympathie était née spontanément. .Ces deux là étaient faits pour   s’ entendre. Elle, chien étranger dans un monde où elle lorgnait sur une gamelle qui n’aurait pas du être la sienne , lui dont le Maître disait qu’il ne développait pas plus d’énergie que pour être«  boueux » et qui,des poubelles promises, ne devint  que Maître.

    D’ailleurs le jour où ce Maître eut ces gentilles attentions qui le contraignîrent à tourner vers le carrelage  blanc et de noir des yeux contrits comme il se doit dans ces cas, il croisa ses yeux dont le liquide l’engloutit. Elle ne le méprisait pas , elle !

   Les jours livreraient Bénédicte aux joutes des « Mâles » de la cour mais               n’ évacueraient jamais ce regard croisé dans un moment de détresse. Il l’aurait embrassée.

​

Tu sais….. nous habitons l’un à côté de l’autre ! « 

 

           Olivier, pour la première fois de sa vie s’arrêta sur une pensée émise par «  une fille « . Il la détailla et se perdit encore un peu dans ce bleu qui naufrageait son regard. Il n’impliquait rien. La commisération qu’il exprimait à chaque brimade du Maître avait disparu. Elle souriait juste.

 

  «  Tu……

  • Ta mère a bien le salon de coiffure de la rue Président Loubet ?

  • Alors c’est au milieu de la côte. Moi, j’habite en haut.. On peut faire la route ensemble….. »

  •     Ce n’était pas une demande , juste une évidence.

  •  

  • «  Ben ouai ! » glapit Olivier tout en vérifiant rapidement alentours  qu’aucun copain n’avait pu les entendre.

 Pour la première fois , ils remontèrent la rue...

​

           Cette rue reliait les faubourgs de Cherbourg en tirant une Tyrolienne digne des meilleurs abrupts Alpins vers la commune d’Octeville. A certains moments en la montant vous pouviez avoir l’impression que vos genoux cognaient contre votre front tant la pente était sévère.

 Son accès , depuis l’école, passait par une série de méandres qui entouraient l’église  comme on en trouve dans toutes les villes portuaires,  pour couper le vent.

  Pour se préparer à la gravir , il fallait se fixer des étapes.

 D’abord, au virage de l’église, on se devait de balancer quelques marrons,  ou autres projectiles, adaptés aux saisons, par dessus les murs du cloître pour emmerder les bonnes sœurs qui , comme on le sait , ne sont que du bon pain gâché.

Cinquante mètres plus haut , la Boulangerie interrogeait les argents de poche respectifs. Là , en général, Olivier passait vite ,  sauf quand sa sœur adoptive lui avait concédé quelques sous sur son propre pauvre reliquat.

  Plus haut c’était ……

                Les Fleurs !

  Le jardin de l’horticulteur les vomissait toutes senteurs offertes… Son fils était un copain et sa porte, du coup, béante.

             Un jour ……

    Un jour on irait. On oserait entrer…..

Souvent le moment de la rupture se faisait là..

Bénédicte avait encore  cinq cent mètres de falaise à escalader.

Olivier avait atteint le salon de coiffure de sa mère.

    Ils s’ arrêtaient là en silence.

 

          Jamais Olivier n’aurait osé , le con ! , aller plus loin. Jamais Benédicte n’aurait osé lui demander. Face à face ils  s’interrogeaient sans savoir que ce qui les rendait muets c’était déjà de l’Amour. Les deux lacs bleus pétillaient et Olivier attendait déjà  la prochaine remontée.

                     «  A demain ! »

     Puis il la regardait continuer l’escalade. Parfois elle se retournait après le pont qui enjambait la voie du train en clignant d’un œil comme il n’avait jamais su le faire.

​

                      Chaque jour la rendait plus nécessaire et tous les matins Olivier guettait, avant de partir, le haut de la rue dans l’espoir de la voir descendre . S’il savait l’heure , il serait là et alors ce ne serait plus en remontant mais aussi en descendant… et….

   Mais le mystère ne sera jamais éclairci .Le matin elle n’apparut jamais.

                       Chaque jour cependant recelait sa nouvelle aventure qui brouillait la cuisante amertume . Ce jour ce fut Laurent, l’ami damné , qui l’apporta, en pleurs de surcroît…

 Les grands du C.e.g. l’avaient «  tarabusté « pour l’alléger de ses carambars en le traitant de «  gros con de fils de riche »

        L’anecdote peut paraître obtuse si l’on ne connaît pas l’organisation scolaire de l’époque.

En ces temps bénis, en effet, non seulement les garçons et les filles étaient séparés mais les classes sociales encore plus et ouvertement. Ainsi les enfants de la plus grande part suivaient la communale puis le collège d’enseignement général alors que ceux du milieu , dit » bien », ainsi que ceux qui aspiraient à en faire partie, entraient au « petit lycée » qui les propulsait en théorie vers de belles études . L’arrivisme se trouvait quand même limité naturellement par les lois de l’argent et du nombre et, les belles études , dans un pays pillé par les français, se restreignaient souvent à l’école Normale. Les enfants du Ceg avaient eux l’Arsenal , principale source d’emploi. Les grands parents d’Olivier y travaillaient tous.

    Mais cette haine de classe, malgré des ambiguïtés comme celle d’Olivier, se répercutait, très républicaine, entre les deux écoles. Comme quoi la connerie est peut être la valeur la plus universelle et transmissible.

 

    En tout cas Laurent avait été agressé par ceux du Ceg. C’était intolérable et méritait une réponse. Tout le monde était unanime, même ceux qui passaient leur temps à le traiter de gros lard.  Au Petit lycée on a le droit de se mépriser…. Mais entre soi !

​

Cherbourg est une ville étonnante dans sa conception comme les villes portuaires de grand vent. L’Urbanisme Haussmanien l’avait pourvue de larges avenues convergeant vers la mer mais n’avait heureusement pas réussi à éteindre toutes ces petites ruelles exigues qui s’entrelaçaient entre les maisons en un maillage complexe permettant de circuler au plus court.

    C’est dans un de ces passage que le piège fut tendu.

    Laurent, l’offensé, sautait d’un seuil de schiste à l’autre pour choisir le meilleur angle d’attaque….

 Napoléon en herbe, il avait distribué à chacun son poste, sa consigne et            d’ aucun n’aurait osé respirer sans son ordre. Le temps lui même faisait du sur place.

                Ils allaient venir !

                On les aurait !

        Les grands…..

       Les grands du CEG…..

       Ils……

   En fait ils tremblaient  tous de peur.

  Pourvu, finalement, qu’ils ne viennent pas…….

                     Bénédicte rigolait , se foutant d’eux , plantée au milieu du carrefour. Laurent en montait à ébullition. Pourtant lui aussi mourrait d’admiration pour elle mais les deux yeux couleur océan d’ironie roulaient ironiques sur ces futilités…… Quelques années plus tard il appellerait cela du bon sens.

                     Le temps coulait.

                    Les nerfs se tendaient, les poings se serraient….

       Cinq heures sonnèrent à l’église du Vœu. Ils ne vinrent pas. Les justes avaient gagné par abandon !

​

      Ils remontaient la rue, faussement déçus d’une guerre qui n’avait pas eu lieu. Bénédicte marchait à la gauche, Eric à la droite. Il quitta le groupe le premier car il habitait bien avant nous auprès de l’église. Nul n’est parfait !

      Les deux derniers poursuivirent en silence.

     Les années ont passé et c’est maintenant qu’ Olivier comprend que c’est de cette discrétion, de ce silence de Bénédicte  qu’était né ce sentiment qu’elle était indispensable.

     Ce soir là ils s’arrêtèrent devant le Paradis des Fleurs .Dans ses yeux rieurs il lu le respect muet mais néanmoins vivace, qu’elle avait pour ce sentiment de défaite , certes dérisoire, qu’il éprouvait.

   Il eut eu quatre ans de plus , il l’embrassait.

    Que ne l’a-t-il fait !

​

​

     Le lendemain , Laurent, juché sur le rebord du bassin aux poissons de la cour d’honneur, réconfortait ses troupes décrivant une raclée virtuelle qui leur conférait une immense victoire qui avait , en fait un goût de débine.

 D’ailleurs chacun ne lui attribuait que l’honneur d’une oreille blasée. Le Mastard, de sa conciergerie , surveillait cet attroupement suspect.

Bénédicte baillait rendant ainsi le seul véritable hommage digne de leurs exploits.

   Finalement la cloche sonna. « La Petite Armée » gagna le rang devant la classe.

                 Mr Gault, le Maître, était en retard !

                    Un événement !

​

​

 En rangs par deux ils n’osaient pas bouger. Le Mastard tournait autour d’eux accompagné de son carlin aussi haineux que ridicule. Il remontait inlassablement la file prêt à déchirer la moindre once de chair qui eut pu détruire la régularité de celle ci.

Mais un simple sanglot détruisit l’équilibre sacré.

     Derrière la colonne Sylvie pleurait…

  Le Mastard rugit. Les têtes se réalignèrent. Mais comme un mauvais matin, leur réveil venait de se terminer sur cette image : Sylvie, le visage bleu de coups pleurait.

              Le Maître arriva.

​

           Ce qui arriva ce jour là ne pourra jamais être correctement décrit. Pour un enfant c’est indigne . Pour un adulte , respectueux de l’image de l’école républicaine , c’est inique. Pour les enfants qui y assistèrent , ce fut tellement incompréhensible que pour  la plus part ils l’oublièrent sur le coup

        Mr Gault fit rentrer le rang. Ses mains tremblaient. Il ne s’était pas rasé et cela même était une révolution. Une sorte d’électricité saturait l’air de la classe que l’odeur âcre de l’encre fraîchement versée ne couvrait pas. Un drame couvait et, rigide devant son  pupitre, chacun attendait l’orage. Mais d’où viendrait il ?

    Il vint.

        Sylvie éclata en sanglots , suffoqua pour les retenir et toussa.

 Il bondit et dans cet élan fulgurant perdit sa légitimité , sa légende et son humanité. Mr Gault saisit Sylvie par sa natte , l’arracha de son pupitre et la traîna jusqu’à l’estrade. En hurlant et se débattant elle éclaboussa le carrelage de gouttelettes rouges que les échardes des vieux bois semblaient heureux de lui arracher.

        «  Qu’est ce t’as p’tite pisseuse ?… câtin !.. fille de ta mère ! »

      Et, tous pétrifiés  virent  s’élargir, sur le pavé mosaïque de la classe, tellement familier, une sombre orchidée rouge. L’Homme, car ce ne pouvait plus être le Maître, cognait le crâne de Sylvie sur le carrelage,  pris de folie.

              La porte de la classe claqua et les vitres vibrèrent.

   Dans la cour on entendit soudain la voix de Bénédicte qui hurlait au secours !

   «  Mr Mauléon !……Mr Mauléon !    Le maître est fou !  « 

                       Elle seule avait réagi…..

​

Plus tard les enfants surent ce qui s’était passé. Mme Gault avait quitté son mari la veille. Personne n’est ni dépositaire ni arbitre des drames d’autrui pour juger. Mais le lendemain l’homme s’en était pris à sa femme à travers sa fille.

             Nous gagnâmes huit jours de vacances…. Et Sylvie , beaucoup plus.

      Seule Bénédicte avait réagi. Eux tous, Hommes devant l’Homme n’avaient rien pu faire .  Pourquoi ?

         L’admiration d’Olivier n’en pouvait que croître.

         Mais ces vacances venimeuses c’était aussi tellement de remontées de rues en moins….

​

​

​

      Le temps s’égrenait difficilement coincé à la fenêtre entre la voie ferrée, les ardoises du toit voisin et , en tendant le cou le portail du Paradis des Fleurs. Bien sûr il y avait le père aux chats. Un drôle de bonhomme avec une drôle de moustache qui s’accoudait souvent au rebord de sa petite fenêtre ronde sur le toit pour distribuer des miettes à tous ses matous. De sa fenêtre on percevait des chansons sympas d’un dénommé Brassens dont la mère d’Olivier disait pis que pendre et que son père semblait nettement plus tolérer. Il était chouette, le voisin au chats. Il envoyait des messages qu’Olivier n’arrivait pas à entendre mais le sourire à lui seul en donnait la saveur. Rêveur , Olivier suivait les rondes de ses chats. Il y en avait deux roux, un noir et trois « indescriptibles », les chats du père Aimée, l’homme à la quatre chevaux jaune. Celui qui émiettait son pain en versant un petit verre de lait dans sa gouttière pour les nourrir et qui quand c’était fait, retirait sa pipe d’un air bonhomme en souriant à Olivier, l’air de dire «  tu vois même sur les toits , on peut trouver des trésors ! »

      Dans une de ces confrontations silencieusement bruyante, le dialogue fut brutalement rompu .  On sonnait.

        Joëlle, sa sœur adoptive, posa avec un geste d’agacement son dernier numéro de Salut les copains «  et entrouvrit la porte.

Olivier tendit l’oreille. Des coups de sonnettes le jour , c’était rare . La dernière fois c’était la sœur du cathé qui venait pour savoir pourquoi ses parents ne l’envoyaient plus chercher la bonne parole le jeudi matin.

       «  Bien sûr qu’il est là mais pour sortir faut demander à sa mère….. au salon « 

​

​

               Le terrain commun, le fond de l’aventure, la jungle…..Les serres d’en face….

          Le Jardin des Fleurs

     Laurent, Eric, Denis , étaient venus. Bénédicte aussi…….

         Au cœur de la jungle tout était permis… des trucs , des machins…de ces mots que l’on n’avait pas le droit de dire….. des tulipes castratrices, des  roses venimeuses… des humeurs tropicales inenvisageables……

     Denis, fils du maître des lieux était leur  guide. Grâce à lui et à leur  naturelle vaillance ils entreprirent l’initiation des cactus purifiés.

​

​

     La jungle les envahit.

Les serres étaient encore loin. Mais l’acide des lierres corrodait déjà leur muqueuses . Ils sentaient le fer…l’ivresse et l’ailleurs……………Ils étouffaient d’un autre monde trop odorant.

     Des monstres verts griffus leur caressaient, d’attouchements sensuels, le visage. Les arômes emprisonnaient déjà leurs consciences et les menaient à l’extase.

      Vous êtes vous déjà promenés dans une serre chaude ?

      Chaque liane, chaque épine fleuretait avec l’oreille, violait le nez , déposait un grain de pollen au coin de l’œil…Leurs senteurs les cambriolaient intimement. Les fils de la vierge cachetaient sur leurs peaux leur droit de  péage.

       Ils durent s’asseoir…..

    Bénédicte souriait.

                      «  Génial ! »  

 Ce fut elle qui ajouta «  il ne manque plus que les serpents… »

      Elle irradiait.

Olivier eût aimé partager son extase. Ce vert le broyait,  l’étouffait….mais il ne pouvait en parler…Elle était là….    Ils s’assirent entre deux philodendrons ..Eric et Laurent couraient devant. Denis, blasé, attendait dehors.

   " Bénédicte

-oui?"

Ses deux grands yeux bleus explosaient déjà de réponses aux questions encore non posées.

  " je crois que mes parents ont prévu de partir ...de changer de ville

- ah! ils pensent aller où?

- Rouen "

  Elle essuya un coin de lèvre et son regard se perdit dans l'humidité des lianes de la serre.

​

«  C’est génial de voir un autre pays ! »

          Eric aurait pu prendre la place d’Olivier. D’ailleurs ce jour là , Olivier l’aurait étranglé pour  ne pas l’avoir fait. C’est vrai ! C’est moins dur pour celui qui ne part pas !  Mais dans le rang par deux ce matin là , Olivier n’était pas ouvert à la philosophie. Bénédicte ne s’exprimait pas plus mais son regard de transparent avait viré au gris songeur.

           Mr  Gault était revenu et avec lui le rituel de la classe.

 Pas tout à fait cependant puisque le quart d’heure de Morale s’était effacé , incongru devant l’absence de Sylvie qui rappelait que dire n’est pas faire….

      «  Quelqu'un veut il proposer un sujet ? Parler de quelque chose….. »

      Il s’arrêta .

   Désarçonné, il ne pensait pas que cette suprême liberté accordée serait employée.

Armé de toutes ses désillusions , futur éboueur prédestiné selon Mr Gault , Olivier se leva.

   «  Je vais partir à Rouen. C’est où ? c’est quoi ? »

      Le regard de furet du carnassier étincela. Le prédateur naquit de ses propres cendres…

                                    «  Rouen ! »

​

            Olivier tassa sa tête entre ses deux épaules. Dire qu’il ne demandait qu’un simple renseignement. Il imaginait déjà sa cervelle suintant dans les frontiéres indeterminées des pavés noirs et blancs du carrelage de la classe. Attends Sylvie ! j’arrive.

    «  Rouen ! le pot de chambre de la Normandie…

               Est ce seulement un pays ?

     Dire que les Normands qui conquirent même l’Orient sont assimilés à ces primates ! »

   Les notions d’histoire d’Olivier étaient encore bien imparfaites pour saisir les éventuelles vérités de cette affirmation. Et, même si l’avenir devait lui montrer qu’il ne s’y trouvait qu’une relative exagération, l’aube de temps apocalyptiques qui semblait se profiler lui apparut quand même un tant soi peu exagérée. Mais le flot continua de se déverser.

    Mr Gault expectora un étrange rire de gorge proche du vomissement mal retenu .

       «  Mais ils ont un grand port ! Le Havre ! « s’enterra un peu plus profondément l’impétrant Olivier.

    Alors là chacun savait dans la classe que ce port « scandinave » mis en concurrence avec le leur venait d’arracher ce marché légitimement à eux , celui des transatlantiques….

   Le visage de Gault se raidit, se fissura….

   Il se figea, rosit , se couperosa et finalement fonça….

            Ca y est , le pavé pour mon crâne..  pensa Olivier , prêt à mourir sans livrer bataille.

  Dans un regard giratoire, il embrassa toute la salle une dernière fois et s’arrêta sur celui de Bénédicte , hélas impuissante comme Jeanne sur le bûcher. Il sentit sa détresse et cela lui pinça une dernière fois chaleureusement le cœur.

    La tornade  stationna brutalement devant lui.

   Cela y était !  Sa cervelle visait déjà ses cases de prédilection pour se répendre. Il savait et ses yeux fermés, crispés geignaient d’impatience pour une fin trop longue qui ne cessait de se faire attendre.

     Il y eut un grand blanc….

     «  Mr Gault !  Olivier se trompe ..La rade de Cherbourg, bâtie par François  1 ier aussi mais nettement améliorée par Napoléon est en fait la seule accesible, sans cesse , quelque soit la marée.. »

      L’exposé se poursuivit , mécanique, un moment. Olivier rouvrit les yeux. Merci Laurent ! Sans lui il serait mort !

      Le Minotaure souffla de tous ses naseaux brûlant les oreilles d’Olivier mais renonça à sa proie. Il meugla «  Vous avez entendu ? »

      Olivier s’humilia d’un regard courbé vers le sol et balbutia :

«  Oui , Mr Gault…

  • Vous partez pour un pays de collabos…

  • Oui, Mr Gault…. »

          Ils avaient remonté la rue….

Ils étaient trois….Assis dans la serre.

   Ce ne fut pas le serment des mousquetaires ..ce ne fut pas….Mais en fait ! qu’est ce que ce ne fut pas ?

        Ses amis…

        Son amie ?

     Laurent se leva le premier, magistral. Sans un mot mais l’iris rougi il  serra fermement le bout des doigts du condamné Ce jour là le lierre et le chèvrefeuille s’étaient mis en quatre pour les étouffer de senteurs épaisses. Ils respiraient leur  détresse.

    Laurent s’éloigna.

   Ce bleu , ce soleil et cette eau…. Ce regard !….. Ce jour il s’était chargé de gris dans les yeux de Bénédicte. L’amertume des femmes sur le quai qui, depuis des mois, savent que leur attente n’est qu’un tuteur, plus une espérance…

 «  Il faut y croire… » murmura-t-elle

«  je reviendrai… »

        Elle rit doucement..  comme le tintement d’une cloche dans une cabine de pilotage , le matin quand un mauvais vent vient l’effleurer donnant l’illusion de la pêche alors que le navire est en cale sèche.

 «  Tu rigoles !…. c’est pas nous qui décidons… »

       Pour la première fois et la dernière avant longtemps ,Olivier osa caresser une joue de femme. Il y traînait un mauvais sanglot.

  Il se voulut grave du haut de ses dix ans et balbutia une ânerie

                 «  Pleures pas….. Je reviendrai… »

​

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Trente sept ans après il n’est jamais revenu. Il n’a jamais oublié…..

   Il est repassé. Il a remonté la rue de nombreuses fois….

    Il n’est toujours pas éboueur  et pourtant, peut être, par ce beau métier qui fait remonter les rues, eut il croisé les deux grands yeux bleus…..

            «  Tu rigoles…..c’est pas nous qui décidons ! »

 

                                                                 St Léger

                                                           13/02/05

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