Olivier Sorel Peintre, Poete, Ecrivain.......
Non, c’ est Non !
(Extrait de Erp. Fox, Nouveaux dossiers)
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En hommage à Claude Seignolle
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Je me suis souvent demandé comment un type claustrophobe pouvait vivre les trois quart de son temps dans un appartement étriqué de Montmartre, volets clos. Tout jure est-il qu’ il a fallu que Fox s’ absenta ce jour- là pour clore un dossier à Irun, pour que je puisse visiter les grottes d’ Oxocelaya.
La visite, comme chaque fois que je m’ égarais dans une de ces cathédrales troglodytes, m’ avait plongé dans une sorte de béatitude et, du coup, je n’ éprouvais pas l’ envie de rentrer tout de suite à Hendaye où les affaires de Fox nous avaient amené à jeter l’ ancre.
Je musardais sur les sentiers abrupts qui sillonnaient les flancs des Pyrénées autour du site. Les pans déchiquetés de cette Navarre verdoyante cachaient d’ autres fissures, certes bien moins importantes, mais dont les gueules ouvertes derrières les taillis touffus appelaient l’ imagination à s’ évader vers des mondes cachés de Trolls et autres farfadets.
Ce fut un cri déchirant qui m’ arracha à la torpeur de mes songes. De ma canne, je me frayai un chemin à travers les épineux en direction des appels de détresse. J’ aboutis dans une petite clairière où m’ attendait un spectacle insolite.
Sur le sol se tordait une petite chose, velue, source des braiments qui m’ avaient alerté. A côté, une jeune femme d’ une grande beauté brodait, indifférente.
J’ accourus, alarmé. La créature à la pilosité galopante se révélait être un homme ! Certes, de petite taille, debout il ne devait pas dépasser le mètre de beaucoup. Il se roulait dans les herbes en hurlant de douleur, les mains crispées sur l’ une de ses jambes.
Je m’ agenouillai et l’ examinai. Pas de doute, à la courbure je compris que le membre était cassé.
Je fouillai dans les taillis et trouvai deux branches solides pour improviser une attelle et, comme je cherchais désespérément comment lier mon éclisse de fortune, je me tournai vers la jeune femme. Ses grands yeux vert pâle ne m’ avaient pas quitté depuis le début. Elle était à peine plus grande que son compagnon et portait une sorte de tunique longue serrée à la taille par une large ceinture de cuir .
« Passez -moi votre ceinture ! »
Elle inclina légèrement la tête, comme un jeune chiot qui ne comprend pas le jeu que vous lui proposez.
« Votre ceinture ! pour maintenir les branches ! »
Elle dût comprendre enfin et se défit de l’ ustensile, toujours sans un mot. J’ achevai mon installation de fortune et me relevai. Le blessé se débattait maintenant lui aussi pour se redresser. Il ne criait plus. Juste quelques grimaces indiquaient la témérité de ses efforts. Je lui empoignai le bras pour éviter qu’ il ne pose le membre fracturé sur le sol et, clopinant, il me tira jusqu’ à une table de pique- nique qui, je l’ aurais juré, n’ était pas là quelques minutes auparavant et s’ assit. Je m’ installai face à lui. En arrière- plan, j’ apercevais la jeune femme qui, imperturbablement, poursuivait son ouvrage.
Mon regard revint sur mon curieux blessé. Son visage ébahi se fendait d’ un large sourire que l’ on aurait pu qualifier de « niais » si une petite flamme verte qui sautillait dans ses yeux n’ avait contredit cette impression.
Un gnome , non ! un farfadet ! Il me rappelait les lutins malicieux quiabondaient dans les illustrations des Faïries . Une tignasse aussi crépue qu’ abondante ne parvenait pas à cacher de larges oreilles d’ où s’ échappaient des touffes de poils drues. Les cils très longs, comme ceux des biches, clignaient sans cesse. Sa peau, du moins le peu que son épaisse barbe en laissait deviner, possédait cet aspect cuit et recuit du vieux cuir bruni au feu.
« Vous ne souffrez pas trop ?
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Oui
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Vous savez…il faudrait aller faire soigner cela à l’ hôpital le plus proche !
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Oui »
Pas contrariant le bonhomme !
« Vous habitez loin ? Vous êtes d’ ici ?
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Oui , non »
Il me désigna une excavation à la base du pan de rochers. M’ indiquait-il sa demeure ? Personne, à notre époque, ne peut encore vive dans une grotte et encore moins dans un de ces étroits goulots humides.
Perplexe, je commençais à m’ interroger sur mon curieux interlocuteur. Se moquait- il de moi ?D’ où sortait-il ? Son teint mat, son nez busqué mais épais…tout rappelait le type basque. Mais cette taille anormalement petite, même pour un nain ?
« Je peux vous offrir un verre ? »
Décidemment ! Ma stupéfaction n’ avait pas fini de croître ! Je balbutiai un acquiescement machinal.
Il claqua des doigts en direction de la jeune femme, qui daigna quitter son rocher, et lui cria une longue phrase dans un langage qui m’ était complétement inconnu. Vu la région où nous nous trouvions, j’ en conclus que ce devait être de l’ Euskadi[1].
Elle s’ approcha alors de nous, enserrant dans ses bras un cruchon de terre cuite dont je n’ aurais pu dire d’ où elle l’ avait fait surgir. Dans deux gobelets d’ étain, sortis probablement des plis amples de sa tunique, elle nous versa un liquide aux reflets verts que je humai pour tenter d’ en identifier la nature. De l’ Izzara… Puis elle s’ en retourna lentement vers sa broderie. J’ inspectai d’ un œil appréciateur ses formes parfaites qui ondulaient. Mon regard s’ arrêta soudain sur ses pieds. La perfection qui avait conçu cette être idylliqueavait négligé un détail. Ils étaient difformes, osseux, et entre les orteils on devinait la fine membrane qui les reliait. Je retins mon étonnement pour ne pas froisser mon convive de rencontre.
« C’est votre femme ?
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Non
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Votre fille ?
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Oui »
Le personnage, malgré la toison qui masquait ses traits, me semblait bien jeune pour avoir une fille dont l’ âge apparent ne devait pas être très éloigné du sien.
Il entonna son verre et le vida d’ un trait. Je trempai mes lèvres bien plus modérément dans le breuvage parfumé tout en m’attachant à ses mains, serrées autour du gobelet, de grosses mains calleuses dont les traces de coupures témoignaient d’ un usage régulier. A celle de gauche un doigt manquait , amputé au- dessus de la première phalange. Blessure typique de l’ ébéniste !
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​
-
Non »
Mais il reprit aussitôt.
« Iturien, c’ est mon nom ! Iturien fabrique de très beaux meubles…mais aussi des toits, des charpentes, des puits, des ponts… Tout seul, il fait ça, Iturien ! »
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« En tout cas ce n’ est pas avec cette mauvaise fracture que vous dresserez une nouvelle toiture ! »
Mon étonnant petit faune éclata d’ un rire franc et se laissa tomber au bas de son banc sans se soucier de son membre brisé.
« Regarde ! »
Il prit son appel, tendit les bras et, à ma stupéfaction, exécuta une série de roues parfaites. Son exhibition terminée, il revint se planter devant moi.
J’ étais sidéré !
« Votre jambe…elle est cassée !
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- Et vous pouvez faire ça ?
- Non ! »
Il se foutait de moi ! Dans quelle fantasmagorie m’ étais-je encore fourré ?
Je réalisai tout à coup qu’ à mes questions univoque il n’ avait fait que répondre le contraire de la vérité depuis le début !
Je me levai brusquement.
« Il faut que je parte ! Il se fait tard !
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Non ! »
Je ne tins pas compte de sa remarque et amorçai quelques pas vers le sentier qui me reconduirait au parc de stationnement où m’ attendait ma voiture.
Sa grosse main m’ agrippa le bras. Je me tournai vers lui, déjà presqu’en colère.
Toujours hilare, il me dévisageait et, comme il plongeait sa main dans la poche de sa tunique, il me dit :
« Iturien voudrait te remercier pour ton geste généreux ! »
Il tendit vers moi ses deux mains. L’ une renfermait un banal bout de charbon de bois, l’ autre une petite bourse. « Choisis ! »
Décidé à en avoir le cœur net, je désignai la bourse. Il me tendit le charbon que j’ enfournai dans ma poche en haussant les épaules. C’ était bien cela ! L’esprit de contradiction !
Je tournai les talons et regagnai mon véhicule.
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« Laminak ! »
Je venais de relater mon étrange rencontre à Fox qui, après m’ avoir attentivement écouté, concluait ainsi mon récit.
« Laminak ! C’est quoi ça ? »
Confortablement installé dans un fauteuil de la terrasse de notre gîte, il souriait facétieusement !
« J’ aurais bien aimé être avec vous. Quoique je doute que nous aurions fait la même rencontre si nous avions été deux !Le Lamin, ou lamiña, est le terme basque désignant un être fantastique de la mythologie basque, un esprit de la nature ou génie d'apparence humaine. Le pluriel Laminak est plus couramment utilisé car ces génies sont souvent représentés en tant que collectif. Le singulier lamina se trouve cependant dans plusieurs récits où un seul individu est mis en scène. Vous êtes chanceux ! Vous en avez rencontré deux !
Le plus souvent, les Laminak sont dépeints soit comme des lutins mâles, soit comme des femmes de taille normale dont le bas du corps est pourvu de caractéristiques animales (pieds palmés, pattes de poules, sabots de chèvre ou queue de poisson).
Créatures en général plutôt nocturnes, les Laminak vivent sous terre, dans des grottes ou auprès des sources et des ruisseaux. Les récits et contes sur les Laminak forment une partie importante du corpus de légendes basques. De nombreux lieux au Pays basque, autant du côté français qu'espagnol, leur doivent leur nom et la construction de plusieurs ponts, églises ou autres bâtiments leur est attribuée. Hélas ! depuis l’ industrialisation de ces régions ils tendent à disparaître !
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Sont-ils malfaisants ?
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Ni bons, ni mauvais ! Ils monnaient leurs « services », un peu comme les korrigans de Bretagne.
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Mais cette façon de répondre constamment le contraire de la vérité !
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Les Laminak cultivent la vérité. Ils en vivent. Lors d’ un marché avec les humains ils récupèrent toujours la différence entre ce qui est promis et ce qui est réellement donné en salaire. C’ est pour cela que la barrière entre le vrai et le faux, pour eux, est souvent l’ objet d’ une gymnastique particulière où ils finissent par se perdre. »
Je me tus songeur et machinalement je cherchai, au fond de ma poche, le curieux bout de charbon offert par le gnome.
A ma grande surprise je retirai alors une pleine poignée de pièces qui renvoyèrent les reflets du soleil couchant.
« De l’ or ! »
St Léger, Juin 2020
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[1] Langue Basque