Olivier Sorel Peintre, Poete, Ecrivain.......
Mon chat a un cancer
( extrait des dialogues avec mon chat)
Le titre de ce exposé aurait pu être « Influence des agents de caisse de supermarché sur le renouvellement des cartes d'identité ». Mais mon chat trouvait cela un peu long. C'est pourquoi nous avons opté pour cet autre titre qui, par ailleurs, comblait pleinement son égocentrisme. A 14 ans, ce qui fait autour de 70 pour nous si on compte la TVA,
A 70 ans, on peut lui faire ce petit plaisir !
Nous étions assis comme deux cons au pied du cerisier ,mon chat et moi ,comme le veut la tradition. Il devait être comme à l'accoutumée 4h du matin. Pour une fois nous avions renoncé à nos échanges philosophiques de base, du style : à quelle heure je mange?.. fous moi la paix il est pas six heures ! »
Non, pour une fois nous goûtions la sagesse supême : le silence.
La veille, le véto m'avait annoncé la nouvelle. Mon chat attendait sur la table d'examen, oreille tendue et cette question fondamentale au bord des babines : Quand est ce qu'on se tire ? Elle me fait flipper ! Je vais louper mon feuilleton ! (En fait une série documentaire sur l'oeuvre deBoris Vian. Mon chat est fan. Il adore surtout ce recueil " J'voudrais pas crever" et ce poème " j'ai une vie en forme d'arête" Normal! il a toujours été plus poisson que boeuf!
Bref! Il faut reconnaître qu'il ne manquait pas d'inconséquence. Des questions fondamentales se posaient à nous bien qu'il s'agisse de sa vie à lui. La véto m'expliquait les opérations qui s'imposaient et je blêmissais.
Pas mon chat !
C'est vrai vous avez réglé toute votre vie et vous avez choisi que le chat en fasse partie . Ce n'est pas pour le voir partir comme ça ! Ce con ! Réalise-t-il seulement le trou que cela va occasionner dans mon organisation personnelle !
Elle consultait sa montre et s'impatientait. Notez que je dis elle car mon chat, comme je vous l'ai déjà dit, est une chatte. J'ai opté pour le masculin car sinon vous ne me prendriez pas au sérieux vu les quiproquos constants que cela pourrait entrainer.
Donc la vétérinaire m'expliquait, sans tenir compte de la présence du chat et en se foutant pas mal du fait que cela le concernait principalement , le plan de charcutage qui, seul, pouvait, éventuellement, résoudre son problème pour une durée néanmoins ( ou en plus) limitée .
Elle m'en donnait aussi le coût. Là il y a deux orthographe possibles. Pour moi : coût ,c-o-û-t qui prêtait à perte et à réfléchir . Mais pour mon chat, coup c-o-u-p ce qui aurait dû l'aider à s'inquièter. Comme on ne lui demandait pas son avis, il s'en foutait.
Mon chat a quand même 14 ans. Un grand âge pour un chat et la facture serait de ….........
Comme le Colonel Cardigan, inventeur du gilet à manches longues, évaluant pensivement l'étendue du désastre aprés la charge de Balaklava , je dirai « Sévère, n'est il pas! »
Oui, mais il y a 33 ans, mon chat était là pour m'écouter lorsque je suis rentré à deux heures du matin pour lui raconter l'émotion qui me submergeait aprés la naissance de ma première fille ! A mon retour de l'Hopital, quand moi même j'ai du combattre ce foutu cancer, c'est encore mon chat qui est venu prendre des nouvelles. Ma fille la plus jeune a de gros problèmes de communication et seul mon chat a su entamer le dialogue aves elle….. Alors ?
Bon là je fais une pause. Il y a une incohérence dans ce que je raconte. Si mon chat a 14 ans comment voulez vous qu'il m'ait écouté raconter la naissance de ma fille il y a 33 ans ? En fait mon chat est un concept. Con vous saviez déjà. Cept c'est nouveau.J'ai toujours eu un chat et comme les chats ont neuf vies et que je n'ai pas eu neuf chafs, il s'agit peut être toujours du même. Sait on jamais ? Je reprends.
Aprés mon propre combat, il a fallu soigner les dommages collatéraux. Mes dents m'ont coûté cher à restaurer et ont usé une bonne part de l'énergie d'un de nos frère chargé de cette tâche , et qui n'en a pas gardé une contre moi pour autant. Au moment où cela cesse, mon chat a un cancer....et ça coûte..... Quel choix faire ? Le soigner sans certitude que cela marche ou laisser faire et le voir mourir dans six mois ? Aprés tout il a 14 ans . Et bien que ce ne soit plus, depuis 1 an, un meuble selon la loi mais un individu doué de sensibilité ( ce qui rapporte moins selon le devis qu'il avait demandé à l'entrepreneur des pompes funèbres.), ça pose problème ( surtout à mon banquier qui ne connaît pas mon chat.Mais que voulez vous mon chat trie ses relations sur le volet, où ailleurs si cela lui chaut. Et qui chaut à chat!......)?
On ne laisse pas mourir un individu doué de sensibilité sans un moindre effort !
Pour un meuble, selon sa valeur : faut voir ! car la valeur n'attend pas le nombre des générations alors si ça peut se transmettre..... Mais pour un chat....
A ce moment de la réfléxion mon chat tourne vers moi un oeil désapprobateur et me sussure :
« Crois tu ? »
Et je repense à ma mère. Iisez Freud ! Il vous expliquera. On ne peut pas dire qu'elle ait embrasé ma vie d'un feu maternel tel que sa situation actuelle en maison de soin en compagnie de son copain Alzheimer me tracassent plus que cela. Les occasions de m'en préoccuper ne sont liées qu'aux faits matériels qui , répercutés sur ma soeur, m'ont obligé à intervenir pour préserver cette dernière. Aprés tout elle a autour de 80 ans, ma mère, et, vu le bonheur prodigué et son âge, est il nécessaire de ….......
C 'est con ! Mais c'est là que je réalise que je suis en train de décider des suites à donner sur la vie , sur la mort, pour quelqu'un doué de raison à défaut de sensibilité en faisant de mes priorités et de mes haines un critére objectif de jugement.
« Ouf ! « me dit mon chat « heureusement que tu ne me détestes pas trop ! »
Il a raison mais...... Mais sommes nous plus pusillanimes vis à vis de ceux que nous aimons, de ceux qui n'ont pas la chance que nous les détestions, pour nous justifier ? On n'est pas là pour se faire emmerder. On est là pour voir le défilé....Pardon, je m'égare !
Prenons mon père. ( ne vous en faites pas ! Je ne vais pas faire toute la famille...)
Placé en maison de retraite médicalisée , je me suis asttreint à le voir au moins une fois par an tant que les spongiosités, encore actives de son cerveau rongé par l'alcool et le désespoir d'avoir perdu sa compagne , lui laissaient une lucidité relative. J'ai continué à défendre ses droits jusqu'à sa mort, et même aprés, Mais j'ai quand même cessé de le voir quand son état a commencé à effrayer ses petits enfants. N'aurais je pas du continuer à aller le voir ? seul ? Les petits enfants n'étaient ils pas un prétexte fallacieux ?
Mais aprés tout il avait quand même plus de 85 ans......
Alors mon chat avec ses 14 ans..... ?
Hier un meuble, aujourd'hui un être doué de sensibilité......
« Ca me rappelle cette anecdote à la caisse du magasin l'autre jour !
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Quel magasin ? » interrogeais je le chat , car nous ne faisons pas nos courses aux mêmes endroits.
Il ignora l'interruption.
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Une caissière faisait remarquer à une jeune femme que la pièce d'identité de la vieille femme avec qui et pour qui elle faisait des achats, était périmée et qu'il fallait la renouveller. Ce à quoi la jeune femme rétorqua : pourquoi faire ? Elle est vieille,elle va bientôt mourir. »
On a beau penser comme La palisse que tant qu'on est vivant on n'est pas mort ! Et qu'un bon pâté de foi ( F-o-i ) reste un bon pâté........On est reculé parfois dans l'ordre des priorités et de la gravité des urgences.
Nos ainés ne deviendraient ils pas parfois des meubles que nous rangeons, et parfois, affectueusement ou pas , : nos chats......
J'avais envisagé il y a quelques années un travail commun sur la solidarité et ses manifestations sociales, qui sont tellement différentes d'une culture à l'autre, avec notre ami Gervais Nicouë. Nous n'avons à l'époque pas été disponibles l'un et l'autre pour formaliser cette idée. Cela se fera peut être. Qui sait ? Mais cette idée est émergée de la dépression que j'ai connue juste aprés la seconde opération concernant mon cancer. Ya pas de raison pour qu'il n'y en ait que pour mon chat ! Le temps m'avait laissé à l'époque , alors que je ne lui avais rien demandé, un long moment pour réfléchir sur ce qui venait de se passer.
Là mon chat me fait remarquer que je vais encore parler de moi alors qu'il s'agit de son cancer en l'occurence. Je vous avais prévenus ! Mais bon à chacun ses priorités.
Donc je revoyais aprés ma première opération, les nombreuses visites dont j'avais fait l'objet, la chaleur de l'amitié fraternelle qui m'avait été prodiguée et que les brumes de la morphine m'empêchaient de goûter pleinement. Ce temps euphorique fut suivi d'une longue période de solitude où chacun s'est abstenu de venir me voir pour, généreusement, me permettre de récupérer. Justement au moment où j'aurais eu le plus besoin de visites.
« Pas vrai ? » ironisa mon chat
Plus tard lors de la seconde opération je me suis retrouvé à la sortie de l'Hopital, sans transport, obligé d'user d'un taxi pour regagner mon domicile. J'étais épuisé par ce trajet et j'ai trouvé mon fils, sa compagne et ma femme attablés au repas et plaisantant, n'ayant pas jugé utile de venir me chercher avant d'avoir fini. J'ai compris à ce moment que cet équilibre entre les priorités personnelles et les priorités pour les autres pouvaient me concerner.
J'avais quand même plus de quarante ans.......
Il n'y a pas d'âge pour ne plus être dans les priorités.
Alors mon chat !
« Tu vois « me dit il.
Mais, plein de Raison il ne manqua pas de rajouter « bon ! Il est 6 heures. On y va ! c'est l'heure ! » . Et il descendit le talus, vers sa gamelle. Je restai un court instant encore à regarder la lune faiblissante.
Ici, un jour, ne s'assiera plus que mon chat ou moi mais pas les deux ensemble . Lequel des deux manquera ? Et à qui ?
Finalement je vais faire opérer mon chat. On verra bien après !
Olivier Sorel
Septembre 2017