Olivier Sorel Peintre, Poete, Ecrivain.......
Extrait de " Moments" :
Si ça dure....
" Alors? ... Ces vacances ?
- Soleil.
- Nu intégral ?"
L'interpellée sourit finement devant l'hommage teinté d'une humeur graveuleuse du Directeur tout en restant suffisamment hautaine pour ne pas perdre la face devant ses collègues, mais en les faisant bouillir quand même un peu..
Ogier attendait , impassible,la fin de ce rituel de pré rentrée.
Il râlait intérieurement aprés cette idée absurde qui lui avait fait enfiler le matin même une cravatte et son gros blouson de cuir car le soleil, à travers les vitres du préau menaçait de le transformer un soupe.
" Je vous présente Mr Vernet qui va rejoindre notre équipe cette année sur la classe de maturation. "
Un peu intimidé, Ogier releva les yeux. Ces gens affrontaient le handicap depuis des années... beaucoup d'ailleurs pour certaines, visiblement. Pour lui , ces femmes étaient des mythes et lui se sentait sur la selette, un apprenti.
Puis le premier jour arriva......
Les jeunes, aussi.....
Ogier ne connaissait que leurs noms. Eux le connaissaient. On leur avait dit.... Ils étaient prêts rassemblés devant la porte vitrée ouverte sur cette cour trop longue au tréfond des abysses de laquelle guettait La Classe
Un endroit dont Ogier allait devoir faire un lieu, une identité. Mais en attendant il contemplait surtout un monceau de problèmes.... Une odeur de radiateur suchauffé étouffait une case de six tables aux formes variables . Son bureau collait un radiateur transpirant l'équateur. L'immense tableau noir défiait les six postes de souffrance.
Charmant lieu !
Comment créer des groupes ?
Pourquoi créer des groupes ?
Déjà, Sebastien, tout en lui écrasant les pieds sous ses pneus, arrachait le chambranle de la porte avec son fauteuil.
Désespérémment, Ogier tourna la tête vers un secours trop inexistant.
Il n'y a pas de problème
Que des solutions.....
Ce fut probablement à ce moment que revint à son esprit cette maxime qui fut longtemps son leît motiv repris par tous ces jeunes avec qui il avait choisi de vivre....
Ça y était ! Ils étaient rentrés!
Trois siégeaient, trois stationnaient leurs fauteuils derrière des tables encochées , aménagées selon les moyens du bord.. A ce moment un cure dent eut été mal venu entre ces éléments disparâtres d' Humanité amochée.
Les regards se tournaient tous vers Ogier, promu Grand Maître de la Connaissance.....
Ils attendaient la Parole.......
Un martèlement régulier ponctuait cette minute de grâce mais Ogier ne s'en expliquait pas encore la source. Il ne fallait pas que le silence dure........ mais pourtant.....
Comment les décrire?
Nicolas, Christophe et Johnny ressemblaient à tous les enfants de France et de Navarre mais Léon... un faciès anguleux , déformé , tout droit sorti des meilleurs souvenirs de Dachau.........Ses mains tricotaient un éternel ouvrage... sans aiguille...sans laine
Et........
Le bruit........ il venait de là !
Ses pieds frappaient incessamment une petite plate forme de bois posée sous ses pieds d'un mouvement qu'il ne contrôlait pas
Sesbastien, pesant, arrimé dans une armure de cuir et de métal digne des meileurs films sado maso tournait vers Ogier une face de la pâleur d'un poulpe qui frisait même la transparence.
Jeremy ricanait, espèce de compromis entre Caliméro et Golum.. Englouti par son fauteuil, il pointait vers ce maître, si indécis, deux prunelles noires, brillantes de cynisme malgré le barrage défaillant d'une monture de lunettes trop large , puis finalement épuisé par l'effort laissait retomber sa tête en arrière, laissant sa bouche s'entre ouvrir dans ce rictus propre aux défunts.
Ogier tenta de se débarrasser de cette grosse boule qui commençait à lui bloquer le gosier.
Le handicap! Sa décision de s'y confronter se retrouvait un de ces petits matins pas si éloignés où, tassé dans un fauteuil roulant avec ses os cassés, il avait contemplé son bras droit paralysé et s'était persuadé que quitte à agir pour les plus en difficulté il valait mieux que ce soit pour ceux là........
Mais là...........
Il n'aurait pas imaginé.
Il évacua péniblement le bouchon.
" Bonjour! ......nous allons devoir passer une année ensemble . On m'a assuré que vous étiez les plus nuls. Faut voir....si c'est vrai, faudra le prouver et c'est pas gagné.... en attendant......."
Les rires sincères qui ponctuérent son petit discourd lui redonnérent de l'assurance.
" ... nous allons procéder à quelques évaluations pour savoir vers quel désert nous voyageons..."
Ogier se décolla de son fauteuil où la chaleur du radiateur déréglé l'avait scotché et migra vers le grand tableau noir qu'il déplia..
Le silence planait......
Jhonny et Christophe sortirent un stylo. Nicolas se leva maladroitement pour engager une feuille dans la machine à écrire de Léon.
" At..tends....Lé ...on, je vais..t...ai..der.."
Ogier, effaré assistait au lent et inexorable déroulement des faits qu'il venait de déclancher. Sebastien s'échinait, dans son fauteuil, à trouver la fesse la plus confortable pour se rendre le plus opérationnel.. Jeremy plongeait en happenée dans un cartable deux fois plus profond que lui pour pêcher d'une main sans puissance une trousse pas plus volumineuse que lui.
Les mains de Nicolas s'emmêlaient... la feuille de Léon se vrillait
" Mait' Mait'......"
Sebastien avoisinait le cri du cormoran au moment de la chute ne pouvant atteindre la certitude que sa trousse le rejoindrait à hauteur....
Ogier entendait ses cheveux blanchir.....
C'était pas prévu comme ça !
Les coups de colère....les crises de violence....les vitres qui explosent...
Il connaissait....
Mais ça !!!!!!!
Il sautait de Sebastien à Jeremy, de la machine de Léon à Léon et......inversement.
Atterré, dépassé.....
Enfin les choses se stabilisèrent. Ogier put s'affaler dans son fauteuil. Il pensa, deux secondes, souffler.
" Mait' Mait'......"
Les pieds de Léon menaçaient de nouveau de battre les performances de Valentino en claquettes....
Indiana Ogier enjamba à nouveau deux roues, une table et deux élèves pour arriver sur les lieux du drame;
"Qu'est ce qui se passe?
- je ne sais pas comment ça ce tape...."
La phrase fut bien sûr plus difficile à expectorer, bloquée par la minerve qui emprisonnait le gosier ....
" Tu ne sais pas......"
Connerie ! Ogier venait de réaliser. Un beau modèle au tableau à recopier. Un beau modéle mathématique..... de droite à gauche pour des machines qui ne connaissent qu'un chemin.... de gauche à droite !
Comment fait on ?
Ogier se retrouvait apprenti........
Découragé, il s'appuya sur l' épaule de Léon et s'essuya le front. Brutalement il fit un bond en arrière comme brûlé par le contact. Léon était tout en plastique, enfermé dans une carapace rigide le gélifiant de la ceinture au cou.
Le handicap.... Il ne l'avait pas vu comme cela... Pas si grave que celà....
Vers les dix heures une jeune femme en blouse blanche frappa à la porte.
" Danièle ! " applaudirent ils tous.
Ogier ne se joignit pas à eux mais il en crevait d'envie. Enfin il n'était plus seul !
Dans le préau fermé un balai sidérant de fauteuils roulants, les uns manuels, les autres élèctriques offrait des perspectives de cataclysmes permanents au milieu des tirs de ballons incontrôlés.
Sur un banc des personnages inconnus, qui se connaissaient tous, échangeaient, dans ce Vietnam, des propos vitaux touchant des comparaisons de bronzage sur des côtes multiples dont Ogier n'avait rien à foutre.
Qui d'entre eux était censé réagir si une roue réussissait enfin à écraser un crâne momentanément à terre, si un tir perdu explosait un conducteur de l'enfer.....?
Une présence derrière lui le fit sursauter. Danièle.....
Ogier n'avait pas encore bien compris son rôle. Mais elle était là et , à ce jour, c'était essentiel....
" Je ne pensais pas ......
....... qu' ils bougeaient autant ?"
Ogier sourit intérieurement. Il se souvenait la panique à l' hôpital des soignants qui le traquaient dans le service quand, lui, la poche urinaire sous le bras, traînait du côté de la cafétéria..
Immobilisation ne veut pas dire immobilisme.....
Les ballons percutaient les carreaux, les pneus larges frôlaient les crânes au sol mais écrasaient les pieds.... des adultes de préférence....
Excédée une collègue venait de s'éjaculer de son banc de souvenirs de vacances et de se jetter sur une petite manette à l'arrière d'un des imposants fauteuils.
" Je t'avais prévenu ! "
Ogier tourna son regard perdu vers Danièle en recherche d'une explication.
" Elle l'a debra...yé.
- débrayé ...?
- ben oui...si vous levez la manette derrière le moteur est coupé
- Mais.....?
- c'est parfois la seule solution pour les rappeler à l'ordre.
- Ah !"
Ogier piqua son fard et baissa les yeux. Danièle haussa les épaules.
C'était tellement sous le sens.
La journée s'écoula sans qu'Ogier vit tellement d'autre visite. Mais l' avenir devait lui apprendre qu'il n'en aurait guère plus, voire moins dans son bout de cour. Les besoins rééducatifs d'un enfant, dans ce cas géographique là, sont inversement proportionnels aux besoins de chaleur et de confort des rééducateurs.
A 16 heures il était éreinté.
Johnny lui fit remarquer qu'il était l'heure de mettre les manteaux.
Un quart d'heure avant l'Heure !
Ogier était encore dépassé. La porte 'ouvrit. Danièle....
" Zut ils ne sont même pas prêts !"
Ogier s'interrogeait de plus en plus sur le sens de rotation de la planète.
Les jeunes s'agitèrent d'un coup comme par magie.....
" A..ttends.....Lé..on....je....te ....mets ....ta....ca...pe ! "
Nicolas joignait le geste, plus prestement, à la parole. Johnny avait déjà rempli la trousse de Jérémy et fermé son cartable.
Danièle et une collègue, miraculeusement surgie du néant, avaient décroché Sébastien de son totem et l'avaient projeté dans son fauteuil..
Ogier, abasourdi , risqua : " il faut toujours s'y prendre comme ça ? "
La providentielle collègue de 16 heures lui adressa cet air inspiré qu'on peut retrouver chez le mérou lorsqu'il qu'il croise un pére Noël en recherche de cours de parapente.
" bien sûr !"
Ogier consulta machinalement sa montre.
" 16h25 ! "
L' officiante ajouta pour l'achever.
" surtout que Mr le Directeur a décidé de faire du zèle ce soir.... Il offre un goûter..."
Les enfants, en effet, avaient été rassemblés dans le réfectoire.
Etrange spectacle de roues, de moteurs, de mains à trois doigts
( ou sans ), de bouches tordues...... Ogier sentait à nouveau durcir au creux de sa gorge devant cette cour des miracles ces foutues pierres qui lui coupaient le souffle régulièrement depuis le matin.
De jeunes gosses de six ans, parfois moins, engluaient de bave des sourires qui auraient pu attendrir par leur confiance. Heureusement ceux d' Ogier étaient plus grands.... Il s' installa autour d'une table avec .....sa bande..... et déchanta.
" Maït.....maït......
" Oui Nicolas ?
- je fais manger Léon ?"
Il est des moments dans la vie où l' on a beau chercher une raison de ne pas se sentir con. on ne la trouve pas. Celui là en faisait partie.
Léon avait 13 ans..... et alors.........Il ne pouvait pas manger seul.. Les pieds infernaux frappaient de nouveau la Salsa..... rappelant qu'on peut n'être qu'une caricature de la vie mais adorer le chocolat quand même.
Trop!
C'était trop !
Ogier se tourna brutalement. Face à lui, Audrey, quatre ans et demi, lui souriait "enchocolatée" jusqu'aux oreilles et balayant de longs filets de baves ses carreaux de lunettes plus que brumeux...
Son cœur fit un bond jusqu' à ses lèvres et lui vers les toilettes en se cramponnant l'estomac....
Cinq minutes après il vomissait encore.........
Une main amicale lui tapota l'épaule....
Il se releva en s'excusant d'un geste de la main qui ne lui servait pas à s'essuyer la bouche.
" Ça passera..... Le premier jour c'est dur!
Si au bout de trois, ça dure........ Alors faudra penser à partir...."
Ogier grimaça un sourire
" Ça va passer......"
" Mait.....mait........
_ oui , Johnathan ?"
Ogier lissa une de ses mèches blanches. Depuis dix ans ce leitmotiv le faisait toujours sourire. Sa rêverie interrompue , il reprit sa classe.....
St Léger du Bourg Denis
le 2 Novembre 2008