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Ces Gens là

  « Qu’est- ce qu’être Grand père ? »

 Question inattendue que me posa le compagnon de ma fille ainée  lors de la naissance de mon premier petit fils. En effet qu’est- ce que ç’est? Le moment est irréel et n’attend pas de réponse immédiate. J’ai cru le faire sous la forme d’un récit de 300 pages que j’ai confié à ma fille ainée et qu’elle a peut être détruit. Une longue quête au sein de mes souvenirs où s’imprimait les visages granitiques de ces gens- là qui avaient accompagné mon enfance et qui me fournirait peut être une ébauche de réponse. Qui étaient- ils et que m’avaient ils appris qui puisse faire de moi ce que je suis et, surtout, comment s’y étaient- ils pris?

 

 

 

    D’abord il y eu l’arrière- grand-mère, vieille couseuse infatigable qui ne savait ni lire, ni écrire mais qui interdisait, après qu’elle en eu extrait ses patrons de couture, que l’on jeta ses vieux « mode et travaux » afin que je puisse découvrir le nouvel épisode de Tintin, chaque semaine, car ça la distrayait de me voir lire. Petite dame rabougrie par l’âge, pliée par le travail minutieux qu’elle poursuivait inlassablement dans la lumière chiche de sa mansarde, elle me recueillait à chaque fois que j’échappais à la bonne qui me gardait, sans même me gronder. C’est par elle que je découvris la Mort pour la première fois car elle s’en alla, sans bruit, un soir, dans sa petite mansarde. Le lendemain, quand on m’emmena la voir, elle ne répondait plus à mes questions.

Elle ne m’a rien appris, rien inculqué

 

 

Puis il a eu le Cousin Pierre. Petit vieillard malicieux qui débranchait son sonotone pour mieux partager les silences que lui refusait sa pipelette d’épouse lorsqu’il admirait les Claudettes, sommairement vêtues, à la télévision. Autrefois  il avait connu les hôpitaux de campagne, comme infirmier, lors de la boucherie de 14-18 et n’en parlait jamais. Si on l’interrogeait, on pouvait deviner les nuages gris des Plaines de Champagne qui traversaient furtivement ses grands yeux clairs. Il préférait l’Avenir. Ardent défenseur  de la Laïcité , il devint ,comme si cela allait de soi, Président du cercle Laïque de Dreux, qu’il contribua à fonder, puis, émule et ami  de Léo Lagrange, il créa plusieurs colonies de vacances pour les jeunes de Dreux, exclus des patronages catholiques.

    « Ne prends jamais pour une Vérité ce qu’on te dit en être une ! Vérifie toujours par tes propres moyens » affirmait- il. Pour son compte, il achetait tous les journaux quotidiens pour se faire sa propre idée.

Avec lui  j’ai compris les vertus de l’ écoute et du silence. J’ai toujours pensé qu’ il avait dû siéger sur nos colonnes mais je n’en ai jamais eu confirmation. Il m’a aussi montré la jouissance qu’il peut y avoir à caresser la reliure des livres avant de les ouvrir. Au crépuscule de ses 99 ans, il s’en fut, histoire d’emmerder ceux qui affirmaient qu’il vivrait centenaire.

Il ne m’a rien appris, rien inculqué

 

 

 

 

   Et puis, bien sûr, il y a le grand père. Ce monument granitique dont la férule pesait sur la tribu. Géant de marbre, dont le cœur d’or se cachait plus ou moins mal derrière son visage bourru de vieux marin qui n’avait jamais ni appris à nager, ni mis le pied sur un bateau.

   Pourtant des bateaux, il en avait connu beaucoup comme tourneur fraiseur à l’Arsenal de Cherbourg. Mais son cap c’était sa famille nombreuse pour laquelle il avait toutes les ambitions qu’on n’avait pas eu pour lui. Cette famille dont il ressemelait les chaussures le soir, après le travail, par soucis d’économie.

  Homme de ponctualité et de règles,  il était ferme. Gare au retardataire autour de la table où il siégeait en patriarche. Ce dernier risquait de trouver son assiette remplie des différents plats mélangés au fur et à mesure du déroulement du repas et de la longueur de son retard. Une fois arrivé il fallait avaler l’infâme galimatias sans se plaindre.


 C’était aussi le bonhomme bienheureux qui me prenait à la sortie de l’école et me ramenait sur le porte bagages de son Solex.

  Socialiste de conviction, il n’aimait pas le Général de Gaulle, tout en lui reconnaissant quand même le mérite d’avoir libéré la France. Lors de l’inauguration du « Redoutable », il dut revenir à Cherbourg pour recevoir la médaille du travail pour l’occasion. Il partit de Coutainville, le matin, en claironnant haut et fort que le grand Charles irait se faire voir avec sa médaille. Mais le soir, c’est avec une larme d’émotion qu’il nous raconta sa rencontre avec le Général. « Ca a bien dû lui faire mal au cœur de décorer un socialo ! C’est bien pour l’emmerder que j’ai accepté ». Aucun grand homme n’est parfait.

     Et je ne parle pas du Général !

  Véritable rocher de mon enfance, il a combattu la maladie et il est parti, lui aussi, quand il l’a décidé, quelques jours après les 80 ans de sa fille ainée ; Mission accomplie.

Il ne m’a rien appris, rien inculqué

 

 

 

       Quand je pense à tout ces gens - là… car ils y en a bien d’autres ! d’autres qui passent sans bruit, sans effets de manches…

 Ils ne m’ont rien appris, rien inculqué…

Ils étaient là !

 Ils m’ont fait !

   Et comme le dit le refrain de ce Bardit de Youenn Gwernig qui a accompagné cette planche :

       Ils ont oublié où ils sont nés

       Château fort, chaumière

        Ou étable…

        Être nés fut leur seul Chef d’œuvre

 

 

 

 

       Alors qu’est- ce qu’être Grand Père ?     Peut- être cela simplement, être là , comme eux.  Seulement  être là… puis disparaître et toujours être là…

Je n’ai toujours pas de réponse bien que vienne de naître mon 6éme petit enfant. Mais elle se trouve peut- être dans cette image que j’ai toujours en tête. Cette image d’ un vieil homme assis sur les rochers de la digue, à Coutainville,  côte à côte avec l’ enfant. Le vieux tend le doigt vers l’ un de ces coups de fusain portés sur l’Horizon.

    «  Tu vois le trait là- bas ! c’est Chausey. Tu vois la ligne blanche de la brume entre la mer et l’ile.

 Il fera beau demain !»

                                                     O. Sorel

                                          St Léger le 28  Juin 2024

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